Dès le début de l’entretien, le pape anglais du design, à l’humour notoire, nous interpelle : « Quand j’ai lu dans votre magazine [RESTO no 6, NDLR] que le styliste Alexis Mabille se mettait à la décoration de restaurants, je me suis dit qu’il exagérait... Puisqu’il empiète sur mon terrain de jeu, moi je vais passer du design à la mode, non ? (rires) »
En quoi le restaurant est-il un terrain de jeu pour vous ?
Ça me plaît beaucoup, puisque j’adore la bouffe et que je possède moi-même des restaurants ! À Milan et à Londres. Ce sont des endroits où je peux jouer, mettre en situation le design, voir comment les choses fonctionnent in situ et s’articulent dans un univers complet. Ce qui est formidable, c’est qu’on accueille des gens nouveaux chaque soir, environ 2 000 personnes par semaine, qui passent deux heures avec nous, sur nos assises, éclairées par nos luminaires... Et ça, c’est impossible à faire dans un simple magasin de mobilier, n’est-ce pas ? Tout cela a rendu mon design de produit meilleur.
C’est un échange de bons procédés ?
Pour moi, oui, c’est une zone d’expérimentation qui « rebondit » dans les deux directions. On peut créer de nouveaux objets, essayer des effets inédits, théâtraliser, faire dialoguer plusieurs disciplines. C’est aussi ici, au restaurant, que je mets à l’épreuve les éléments, le mobilier : les chefs comme les clients les usent et en abusent ! C’est un vrai laboratoire qui me donne une connaissance plus poussée de comment le design devrait fonctionner et s’améliorer, par exemple dans sa longévité, sa durabilité. Mon cheval de bataille.
Vous pouvez donc y être plus audacieux que dans un projet résidentiel ?
C’est ce que les clients veulent en tout cas ! Au restaurant, ils viennent chercher un vrai décor de spectacle où la bouffe devient parfois secondaire, avec différentes dynamiques selon l’heure de la journée. Un resto n’est jamais le même au moment du petit déjeuner ou au dîner. Un jour, une amie que j’avais invitée dans l’un de mes restos m’a demandé à changer d’endroit car elle trouvait que la lumière, à l’instant T, n’était pas flatteuse pour son visage...
Le comble pour un designer spécialisé dans le luminaire comme vous !
Je la remercie ! J’ai appris, à travers elle, où je m’étais trompé sur quelque chose qui était censé être mon expertise... (rires)
À quoi pensez-vous d’abord lors de la conception ?
Avoir une conversation avec le chef et comprendre ses ambitions. Il existe toujours cette dichotomie entre le chef qui souhaite plus de place dans sa cuisine et moins dans la salle, et l’investisseur qui, lui, veut l’inverse ! Moi, ce que j’aime, c’est d’ouvrir, autant que possible, la cuisine sur la salle. Ensuite, il faut penser au mouvement, à la circulation entre les tables, et au fait que cet environnement est versatile. Je disais tout à l’heure qu’un restaurant changeait durant la journée, mais il évolue même pendant le service ! Par exemple, s’il vient un groupe d’une douzaine de personnes, cela modifie complètement
« l’architecture » du lieu, autant spatiale que sonore. C’est la flexibilité qu’il faut rechercher... et atteindre.