À l’entrée du célèbre établissement, du côté gauche, celui du cœur, une plaque de laiton indique fièrement « maison de famille depuis 1924 ». Une mention à prendre, comme rarement, au pied de la lettre puisque la demeure vit précisément naître, en 1926, le grand Paul Bocuse disparu en 2018. Le visage de « Monsieur Paul » – sa « fiole » aurait-il dit – se décline à toutes les sauces une fois le seuil passé, dans des portraits peints ou des clichés-souvenirs tapissant de noir et blanc les murs du restaurant. L’un des salons, portant le nom du chef Fernand Point, précurseur lui aussi à sa façon, rappelle les années d’apprentissage du jeune « Paulo », l’ancien cancre à qui l’on ne prédisait aucun avenir.
Celui qui fut sacré « chef du siècle », avec ses trois étoiles au Michelin conservées 55 ans durant, tombe très jeune dans la marmite auprès de ses grands-parents maternels, propriétaires de cette auberge autrefois appelée l’Hôtel du Pont que Georges Bocuse, son père, rachète à ses beaux-parents en 1937. Georges, lui-même issu d’une lignée de cuisiniers, apporte sa touche à cette guinguette lyonnaise déjà bien connue des bords de Saône, une rivière très chère à Paul qui se met aux commandes de la maison en 1957. Les bronzes animaliers composant la décoration du restaurant montrent aussi l’attachement de ce dernier aux forêts giboyeuses de la région, et à sa manière de sublimer dans l’assiette ce terroir lyonnais auquel il fut farouchement lié. À une certaine époque, les volailles rôtissaient dans la belle cheminée occupant la seule salle que comptait jadis le restaurant. L’âtre continue d’y prodiguer sa chaleureuse atmosphère l’hiver venu, le carrelage aux dégradés de brun et l’horloge ayant appartenu à « Madame », la mère de Paul Bocuse, conférant à cet espace un charme d’antan.
À chaque célébration, un petit limonaire aux cartons perforés, une autre des passions de Paul Bocuse, retentit pour la personne fêtée, comme cette centenaire qui a eu la double surprise de voir Paul McCartney, assis à une table voisine, venir entonner sa chanson d’anniversaire. Au dehors, dans une petite cour aux allures de place de village, veille, assis sur un banc, un bronze du maître des lieux, toque sur la tête, bras croisés et regard franc. Tout autour de lui, les murs aux multiples fresques rendent hommage à plusieurs de ses pairs, d’Antonin Carême à Alain Chapel, ainsi qu’aux figures passées et présentes de la galaxie Bocuse.
Troisième du nom à faire de la cuisine son métier, Paul Bocuse s’est fait un point d’honneur à donner à la profession entière ses lettres de noblesse. Et comme un ultime rappel formulé par ce visionnaire aux pieds bien ancrés sur terre, il est inscrit sur l’iconique façade rouge et vert récemment redorée : « Au fond du pot gît la vérité ».