Bruno Aubin - Rémi Vervier « Nous faisons ce métier pour apporter du plaisir »

Ils viennent d’univers différents mais si complémentaires, et quoi de mieux qu’un déjeuner pour les inviter à dialoguer. Bruno Aubin, jeune et talentueux chef du Cléo à Paris, et Rémi Vervier, directeur général du champagne Palmer & Co, ont ici partagé leurs visions et débouché sur un « accord parfait ».
Article rédigé par
Sylvain Ouchikh

Bruno Aubin : Quel est le champagne que vous venez de me servir ?

Rémi Vervier : Il s’agit de notre cuvée Blanc de Blancs 2013 en magnum. C’est un 100 % chardonnay. Nos raisins proviennent à 90 % de la Montagne de Reims. Nous ne sommes pas du tout sur la Côte des Blancs comme c’est souvent le cas pour les premiers et les grands crus. C’est la particularité de notre maison. Les 10 % restants sont sourcés plus au sud, vers le Sézannais. Quand on pense au champagne, on pense au côté festif, à l’apéritif. À table, il faut « envoyer ». Il faut que ce soit du vin.

Rémi Vervier : Aimez-vous le champagne ?

Bruno Aubin : J’apprends à mieux comprendre le champagne, à l’apprécier. Quand j’étais jeune, je ne l’aimais pas. Une erreur de jeunesse, tout comme avec le whisky… Puis on évolue. Il m’a fallu dix ans pour y arriver. Je trouve qu’il se marie bien avec certains plats.

Rémi Vervier : Comment travaillez-vous avec votre sommelier pour la carte et les accords qui vont avec ?

Bruno Aubin : En fait, je n’ai pas de sommelier. Nous travaillons en équipe. Tout le monde goûte. Nous avons d’ailleurs retiré, depuis six mois, tous les vins de l’ancienne carte pour la refaire avec des vins qui nous ressemblent, et que nous aimons surtout.

Rémi Vervier : Avec ce 2013 en magnum, quel plat irait bien selon vous ?

Bruno Aubin : Il va bien avec celui que vous venez de choisir ! Il s’agit d’un poisson : le maigre avec un sabayon sur les agrumes, un jus d’orange réduit avec les asperges, des zestes de kumquat et une touche de poivre de timut. J’ai ressenti les agrumes, ainsi qu’une pointe saline. Les deux se parlent. Il s’agit d’un dialogue.

Rémi Vervier : Je vous suis complètement. Dans ce vin, la palette des agrumes est assez large, et quand il prend un peu d’âge (celui-ci a déjà 12 ans), il évolue sur les agrumes confits. La touche de kumquat est un rappel à ce que l’on ressent en fin de bouche. Le vin possède de la fraîcheur, mais sans acidité forte. Un peu comme vos plats où il y a du dynamisme, mais tout en finesse.

Bruno Aubin : Nous sommes dans une recherche d’équilibre. Chaque direction est bossée en amont. Un peu d’acidité, un peu d’amertume. On travaille beaucoup pour que le client pense que tout est là, sans effort. En fait, pour arriver à la facilité, il faut énormément travailler. Dernièrement, nous avons fait rentrer des champagnes zéro dosage (aucun sucre ajouté, ndlr). Vous en avez chez Palmer & Co ?

Rémi Vervier : Nous avons La Réserve Nature. Nous le conservons six ans en cave avant de le commercialiser. Nous avons travaillé deux ans et demi avant de le sortir. Le vieillissement lui apporte cette petite note aromatique qui va presque se substituer au sucre pour amener de l’équilibre. Nous ne recherchons pas la tension à tout prix. Ce serait une erreur. Nous souhaitons que les gens le dégustent, le trouvent bon, puis se disent : « incroyable, c’est un zéro dosage ? » Alors là nous avons réussi. Il faut que ce soit facile à boire.

Bruno Aubin : J’éprouve cette même sensation quand je vois nos clients saucer. Il paraît qu’il ne faut pas le faire. Prendre son pain et chercher la petite goutte qui reste. En tant que saucier de formation, je suis attentif à ce détail. Mon rêve serait de voir un jour un client lécher l’assiette comme quand on était enfant à la maison. Je ne le verrai jamais. Je le sais. Mais alors à ce moment, je pourrai dire qu’on a vraiment réussi à faire plaisir. C’est pourquoi nous faisons ce métier, vous et moi. Pour donner du plaisir !

Rémi Vervier : Je partage votre avis. Nos vins et l’effort que nous apportons pour les créer sont uniquement dans cet objectif final.

Le jeune et talentueux chef Bruno Aubin a appris tardivement à apprécier le champagne. © DR
Rémi Vervier, directeur général du champagne Palmer & Co, est aussi ingénieur et œnologue de formation. © DR
Crédit photo :
DR
Article paru dans le n°
11
du magazine.
Voir le site
Inscrivez-vous pour être informé en avant première et recevoir les offres exclusives !
Merci pour votre abonnement !
Oups! Il semblerait que quelque chose n'ait pas fonctionné...