Phénomène : le café ne boit pas la tasse !

Troisième boisson la plus consommée dans le monde après l’eau et le thé, ponctuation rituelle de tout repas au restaurant (le fameux « Café ? » du serveur zélé), il méritait bien que l’on veille un peu au grain...
Article rédigé par
Élodie Declerck et Florence Valencourt

Dans l’Hexagone, nous sommes plus de 80 % à en consommer 2 à 3 fois chaque jour, soit plus de 700 tasses par an1. Loin d’être anecdotique ! Si plus de 90 % de Français achètent leur café quotidien en supermarché, souvent sans s’intéresser à sa provenance, ni aux conditions d’élaboration ou à sa composition, tout n’est pas à voir en noir... Dans une industrialisation à marche forcée destinée à approvisionner toujours plus de consommateurs assoiffés (majoritairement européens puisqu’ils représentent 33 % de la consommation mondiale2), certaines grandes marques font des efforts de transparence et d’écoresponsabilité.

« Le prix du paquet de café ne redescendra plus jamais », nous confie Jean-Pierre Blanc, fondateur de Malongo, premier acteur à s’être engagé dès 1992 dans le créneau de « l’équitable » à l’époque où personne ne savait ce que cela signifiait concrètement. L’importateur garantit aux petits producteurs locaux (souvent réunis en coopératives) des conditions de travail correctes et surtout une régularité d’achat à des prix appropriés. Son explication est directe : « Pour inciter les producteurs à rester à nos côtés, à ne pas céder aux sirènes du narcotrafic, pour être plus clair, à ne pas convertir leur terrain à la culture de la coca, il faut des arguments solides. Et donc une rétribution à la hauteur ! »

Produire un café de qualité en supplantant la culture de l’opium, du pavot ou de la coca : le sacerdoce de Jean-Pierre Blanc, fondateur de Malongo et pionnier de l’équitable depuis 1992. © DR

Preuve que les enjeux sociétaux jouent à plein dans des zones géographiques de production pénibles (en altitude et de plus en plus difficiles d’accès) et souvent chahutées géopolitiquement. Autre nerf de la guerre : les défis climatiques et écologiques que nul ne peut plus ignorer. Quelques mastodontes s’engagent donc côté RSE : illyCaffè, premier café certifié B Corp, avec son agriculture « régénérative », San Marco qui soutient 4 programmes de Reforest’Action, Méo dont la nouvelle gamme est issue de l’agroforesterie ou encore Belco qui ambitionne de transporter 90 % de ses cafés par voilier d’ici 2030. La bonne volonté est là, mais cela suffira-t-il à préserver la ressource ? D’autant qu’en marge est apparu un marché du café plus confidentiel : de qualité premium, dont les saveurs, les arômes, la culture, la torréfaction et la traçabilité sont exemplaires.

Un café durable et décarboné transporté par voilier ? C’est l’initiative de l’importateur Belco, signalée par l’étiquette bleue « Fresh Coffee Clean Ocean ». De nombreux torréfacteurs adhèrent ! © DR
Déjà engagé dans l’agriculture régénérative, illy lance avec CoffeeB un système de boules de café 100 % compostables. Une technologie d’infusion brevetée inédite et vertueuse. Type image caption here (optional) © DR
Méo, importateur et torréfacteur centenaire des Hauts-de-France, renforce sa dimension RSE avec Silvae, une gamme de cafés 100 % arabica issus de l’agroforesterie. © DR

Un nouveau délice d’initiés

Ce café de spécialité – à la différence du café dit de commodité (ou simple marchandise) – désigne donc un café plus haut de gamme, issu d’une zone ou plantation identifiée et qui se distingue par sa grande qualité aromatique. Pour l’encadrer et l’apprécier, les acteurs de cette filière se basent sur la grille de notation de la SCA (Specialty Coffee Association), faisant office de référence. Seuls les grands crus de café notés entre 80 et 100 sont retenus. Ceci dit, au-delà de la partie gustative, le café de spécialité intègre également et à valeur égale, les notions de terroir, traçabilité, éthique, origine et rareté… Car chaque étape, personne et savoir-faire intervenant sur la filière du café a un rôle clé permettant ou non de produire ce café d’exception : producteurs, importateurs, torréfacteurs et baristas.

Pour ce qui est des torréfacteurs, deux acteurs français sont particulièrement réputés pour leur expertise. En premier lieu, Anne Caron, héritière de la maison familiale et première Meilleur Ouvrier de France Torréfactrice en 2023. La maison, qui fête ses 50 ans cette année, s’est, sous son impulsion, à présent entièrement tournée vers le café de spécialité. Le sens de l’histoire ? En tout cas, aujourd’hui, grâce à Anne (comme à d’autres experts), le métier de torréfacteur, probablement le moins connu des métiers de bouche, s’est enfin fait une place sous les projecteurs, offrant de nouvelles perspectives à la filière du café de spécialité dans son ensemble.

Anne Caron, sacrée Meilleur Ouvrier de France Torréfactrice en 2023, est un exemple de transmission réussie entre un père et sa fille et de transition exemplaire vers le café de spécialité. © Nicolas Edwige

Et ce n’est pas Veda Viraswami, torréfacteur à la Manufacture Alain Ducasse, qui dira le contraire. Car, s’il a conscience que le café de spécialité ne représente que 5 % de part de marché en France et – raréfaction oblige – est appelé à devenir un vrai produit de luxe comme la truffe ou le caviar, il observe également une vraie appétence de la jeune génération pour ce produit gourmet. Celle-là même qui n’a pas connu le « petit noir au comptoir » et attache énormément d’importance à l’expérience. C’est bien le sens de l’engagement du chef Alain Ducasse – chantre de la naturalité – dans le domaine, qui entend maîtriser la chaîne de valeur dans sa globalité et proposer un parcours gastronomique d’excellence de bout en bout à ses hôtes. De fait, son blend signature (moitié Inde/moitié Brésil) est un délice qui clôt à merveille un bon repas. Et il se murmure que les deux hommes pourraient bientôt aller plus loin au travers de pairings cafés des plus innovants.

Veda Viraswami, ingénieur industriel et torréfacteur de la Manufacture Alain Ducasse. « Le café, c’est 80 % de science. C’est de la chimie. Mais les 20 % restants, c’est ce qui fait la différence : l’expérience apportée par la curiosité et la passion. » © Pierre Monetta

Vers une inexorable montée en gamme

De nouvelles manières de consommer et d’associer le café, tel un grand cru justement, c’est aussi ce vers quoi tendent les poids lourds du secteur, conscients non seulement du rayonnement médiatique possible mais aussi d’une caution gastronomique indiscutable : Lavazza s’est ainsi associée à Yannick Alléno et à son « coffelier » pour proposer dans ses restaurants sa gamme d’assemblages signatures. On nous parle « origine », « variété », « traitement », « notes » et « pairing » comme lors d’une dégustation de vins.

Nespresso aussi explore ces nouveaux territoires, en s’appuyant sur de jeunes loups de la scène culinaire. Avec Mory Sacko, la marque avait, il y a quelques mois, lancé en édition limitée le Master Origins Zambia, un arabica rare issu du terroir méconnu d’Afrique australe. Elle réitère cet hiver avec Jean Imbert, qui signe trois créations nées de sa vision du voyage : un mélange d’Amérique latine (Pérou/Costa Rica), un café aromatisé et un blend « plus gastronomique ».

Cyril Lignac chez Café Royal, mais aussi Brad Pitt chez Delonghi, Roger Federer chez Jura, Diane Kruger chez WMF… N’en jetez plus, la tasse est pleine. Le catalogue des égéries qui, rappelons-nous, avait été étrenné dès 2006 par un certain Geooorge s’est largement étoffé, autant chez les multinationales du café que chez les fabricants d’électroménager dédié. Chacun cherchant, depuis, le meilleur ambassadeur du glamour... et du bon goût.

1 Source Collectif Café, 2024

2 Source ICO, International Coffee Organization, 2021

Coffe shop, mais pas que...
Ils sont nombreux à s’être attaqués au marché du café avec l’ouverture d’un coffee shop. Beaucoup moins à être aussi devenu torréfacteur par intransigeance sur la qualité ! « Sourcer les meilleurs grains et torréfier nous-mêmes » : c’était le pari pionnier de Nicolas Piégay, fondateur de KB Coffee Roasters à Paris en 2010 et qui, après s’être formé chez les meilleurs experts d’Europe, a lancé Back in Black Coffee, un espace torréfaction près de Bastille. Il nous éclaire : « Trop torréfier, ce qui revient à brûler, ne sert qu’à masquer les défauts d’un café bas de gamme... ». Qui n’a de toute façon pas droit de cité ici.
Un nouveau média dédié
Témoin et acteur de l’engouement global pour cette niche de marché : Philippe Michel, tout récent fondateur de placesducafe.com. Pour cet ancien rédacteur en chef de magazines dédiés à l’équipement de la maison, l’envie de tout lâcher pour se consacrer entièrement au café de spécialité tient du coup de foudre. S’il avait déjà touché du doigt ce milieu via les nouvelles cafetières du marché, c’est sa rencontre il y a deux ans avec un « goût qu’[il] ne pensai[t] pas que le café pouvait avoir » qui précipite sa reconversion. Il se documente, arpente les salons, rencontre des pionniers comme Christophe Servell (Terres de Café) et Hippolyte Courty (L’Arbre à Café) et décide de s’engager à leurs côtés, en faisant ce qu’il sait faire : un magazine en ligne dédié. Objectif ? Être le relais de la « 4e vague du café de spécialité » (selon le concept de l’experte en café Trish Rothgeb, qui décompose les attitudes des consommateurs au cours de l’histoire moderne), l’accompagner, en y intéressant le grand public, pour faire comprendre que « le café de spécialité, c’est de la saveur avec des valeurs ».
Crédit photo :
Élodie Declerck, Nicolas Edwige, Pierre Monetta, DR
Article paru dans le n°
9
du magazine.
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