« Mon grand-père a réussi à réunir la famille pendant 70 ans autour de ses plats » Juan Arbelaez

Pour RESTO, la pétillante journaliste TV et radio Louise Petitrenaud invite le chef à remonter le temps. Séquence émotion, de Bogotá à Paris, sous l’influence d’un aïeul qui gardait pour lui les secrets de ses recettes.
Article rédigé par
Louise Petitrenaud

Ton enfance ?

Je suis né à Bogotá, dans une petite maison. Mon grand-père, Pito, avait une tête d’Italien, un caractère fort, et toujours l’envie de cuisiner pour la famille. Il se cachait pour préparer ses plats. Il voulait que ses recettes restent secrètes, comme si le fait de ne les dévoiler à personne lui donnait un certain pouvoir ! Ce n’était pas son métier. 

D’une certaine façon, peut-être que je me suis dit que j’allais accomplir son rêve en devenant cuisinier et en arrivant à vivre de cette passion.

Juan et ses grands-parents.

Le plat qui t’a marqué ?

Pito maîtrisait très bien de nombreuses recettes, mais il y en a une qu’il ne faisait pas souvent parce que c’était assez long à préparer : la mojarra frita, un plat colombien typique, un poisson local entier frit. 

Il faisait revenir des oignons avec beaucoup d’ail et d’huile d’olive ; il ajoutait des tomates coupées à la râpe à fromage, puis de l’origan et du laurier. Une fois que ça avait mijoté et que l’huile commençait un peu à ressortir, c’est-à-dire qu’il n’y avait presque plus d’humidité, il arrêtait la cuisson. Il laissait la préparation refroidir et la plaçait dans de petites barriques de cognac en bois pour deux ou trois jours, afin que ça s’imprègne du goût de l’alcool, du bois… Je trouvais ça dingue. 

Il panait la mojarra dans la farine, il la tapotait. Je me souviens de ses grosses mains qui frappaient la mojarra, ça mettait de la farine partout… Il la faisait cuire dans une grosse casserole d’huile jusqu’à obtenir une coloration très poussée. Il adorait quand c’était vraiment très frit, très croustillant. Ensuite, il balançait la sauce tomate qui avait mariné dans les barriques de cognac sur le poisson, il repassait un peu au four, la friture se gorgeait de sauce. Et là, d’un coup de fourchette, on s’envolait sur une autre planète !

Refais-tu cette recette ?

Oui, et j’ai hérité de ses barriques. Mais ça n’a pas le même goût : je n’ai pas les mêmes gros doigts pour tapoter le poisson à sa manière, je n’ai pas la bonne façon de préparer la sauce, de la faire mijoter, de la servir ! Je ne sais pas si c’est l’amour, la passion qu’il mettait dedans, la patience… Vraiment, je n’en sais rien, mais ça ne sera jamais pareil.

As-tu déjà cuisiné pour Pito  ?

Je suis parti apprendre la cuisine en France, et quatre ans après, à Noël, je suis revenu voir mon grand-père. Là, j’ai été la première personne qu’il a laissée entrer dans sa cuisine pour faire la recette avec lui… Comme s’il fallait faire ses preuves avant pour réussir à pénétrer dans son univers et pouvoir connaître ses secrets. La première fois que j’ai cuisiné pour lui, c’était magique : j’ai refait tous ses classiques. C’était important pour moi, car il a réussi à réunir la famille pendant 70 ans autour de ses plats. Je trouvais ça beau de faire perdurer cette tradition et de prolonger l’histoire qu’il avait commencé à écrire.

Si tu avais pu lui faire goûter un plat, qu’est-ce que tu aurais cuisiné ?

Je ne me serais pas trop aventuré sur ses recettes, il était trop fort. J’aurais adoré le faire venir en France et qu’il voie ce que j’ai réussi à construire. Tout mon univers est né de l’étincelle qu’il m’a transmise.

Crédit photo :
Article paru dans le n°
4
du magazine.
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