
La rue Saint-Jacques fut longtemps une belle endormie. On y trouvait, outre les stigmates d’un Vieux-Lille attendant patiemment les feux ultimes de sa rénovation patrimoniale, un salon de thé, un bouquiniste, une table formelle et joliment française, ou un restaurateur de meubles anciens. Et pour le pittoresque même, au numéro 9, une maison « maudite » du fait d’une histoire macabre digne d’un roman de Gaston Leroux. Et puis, l’année 2017 vint lui apporter un nouvel éclairage. Un duo d’amis, Martin Le Pellec et Charly Catrix, le premier, ancien joueur de basket professionnel, le second, chef et traiteur de profession, décident d’ouvrir Papà Raffaele, cantine napolitaine où la pizza est la grande vedette du menu. Le jeune sportif à la retraite explique alors la genèse du projet face à la caméra de Grand Lille TV : « J’avais découvert la pizza napolitaine à Los Angeles, l’été, quand j’allais m’entraîner là-bas. J’ai adoré le produit que je ne connaissais absolument pas, parce qu’il n’existait alors pas en France. Du coup, Charly et moi, nous sommes allés à Naples voir le berceau, tous les producteurs. Et nous sommes tombés amoureux de la cuisine napolitaine. » C’est un lieu hybride, joyeux, entre restaurant et épicerie typique, adoubé par Maradona, l’icône de la SSC Napoli, peint au mur. Le succès est immédiat. « Au-delà de nos espérances. On savait qu’on allait attirer du monde, mais avec en plus des produits de qualité et des prix raisonnables. Comme à Naples », confie Charly Catrix. En avril 2018, à juste quelques mètres, place du Lion d’Or, le tandem ouvre Papà Posto, qui poursuit l’aventure culinaire italienne plus orientée panozzo ou gnocchi.
Le ton et les couleurs (voir la devanture florale du Papà Posto) sont donnés. Mais, rue Saint-Jacques, l’« italianisation » n’a pas dit son dernier mot. Un nouvel acteur entre en scène dès 2019, tout en prenant son temps, Covid oblige. C’est un couple, formé par Bruno Pottiez et Sophie Joyez, alors propriétaires d’un célèbre bar à mojito du centre de Lille. Ils aiment le sud de la France et l’Italie, le scooter, Rome... Et rêvent, de leur côté, d’apporter un peu des saveurs de la « Ville éternelle » au cœur de la capitale des Flandres. « On est de vrais romantiques », sourit un Bruno au teint hâlé devant la devanture du Rocco, leur deuxième restaurant ouvert rue Saint-Jacques, au 15 exactement, tandis que son épouse apparaît des pains plein les bras et de la farine jusqu’aux oreilles. Ici, sous l’œil bienveillant de la Vierge Marie, se pratique le culte d’une cuisine franco-italienne roborative et accessible (welsh gratiné au parmesan, mafaldine aux gambas, lasagnes au thon...). Un peu plus haut, à l’angle de la rue des Tours, s’est nichée la Cucina Popolare, leur première adresse. C’est une vraie bonbonnière, où une clientèle de tout âge aime à partager spritz et pâtes (rigatoni gorgonzola, spaghetti alla puttanesca...) au son savoureux d’une pop transalpine immémoriale. « Il faut vraiment s’y asseoir pour en saisir l’atmosphère », glisse le maître des lieux. Ce ballet de beaux objets, de produits fins et frais, de cachet d’une Italie d’atmosphère – leur épicerie, Bruno e Sofia, au 17bis, recèle de gourmandises et vous transporte aussi très loin de Lille – fonctionne à merveille. Alors, tout se dévore, de la bouche comme du regard, en attendant Rosa, un autre établissement, promesse d’une trattoria belle comme un décor de Visconti.



« Cette tendance est venue, selon moi, du spritz », avoue Bruno Pottiez. À la sortie du Covid, le public a envie de respirer, de voyager. Mais il faut laisser au monde le temps de se remettre en place. Alors, pourquoi ne pas rêver par le verre et par l’assiette ? Un spritz donc et des antipasti, une burrata et des tomates fraîches, la pizza, les pâtes, le pecorino et tutti quanti... La marche a suivi à Lille d’une manière inédite avec la création de ce quartier où mangiare bene sous le soleil du Nord. Mais ne risque-t-on pas de parler trop vite – un peu à la milanaise ? Cela ne pourrait-il être qu’un épiphénomène, une banale saillie culinaire ? Un article du journaliste Patrick Seghi de La Voix du Nord, publié en février dernier, plante le clou : il y a bien un « Little Italy » à Lille. Un temple de la « gastronomie italienne » à ciel ouvert, qui, au grand bonheur du voisinage, voit la rue prendre un joli cachet et, probablement à l’avenir, avec l’ouverture d’un parc municipal à son encablure, une plus-value immobilière plus reluisante encore. La recette a l’air simple à première vue. Mais il faut savoir tenir une règle d’or dans cette ville au coup de fourchette légendaire et à la clientèle le plus souvent familiale et étudiante : de bons produits, des lieux dépaysants et des prix toujours abordables. Souhaitons donc un bel avenir à la petite sœur française du Trastevere (Rome) ou du Borgo Marinari (Naples), ces quartiers des bonnes tablées. Ici, souffle-t-on déjà : « À Lille, venez manger en Italie ! » Où la Deûle remplace le Tibre.

