
Tout d’abord, brisons un mythe. La magie de La Colombe d’Or, un petit rien inauguré au début des années 1930 par Paul Roux et devenu depuis une des adresses les plus célèbres et aimées de la Côte d’Azur, a longtemps joué de son esprit bohème. Paul Roux appréciait les artistes, et ceux qu’il recevait et nourrissait de bonne grâce le remerciaient en lui laissant une de leurs œuvres, raconte-t-on depuis toujours. Les noms de ces créateurs de passage ont de quoi laisser rêveurs même les plus philistins : Pablo Picasso, Fernand Léger, Henri Matisse, Joan Miró... « On dit que toutes les œuvres ont été offertes, ce qui est absolument faux », confie Danièle Roux qui dirige aujourd’hui l’établissement aux côtés de son époux François, le propriétaire. « C’est absolument faux parce que mon beau-père [Francis Roux, ndlr], et avant lui Paul Roux, ont souvent investi, de leurs propres moyens, dans une œuvre. Comme mon mari continue à le faire parfois. » À l’adresse immuablement familiale, les années ont passé et d’autres générations d’artistes y ont laissé leur trace, qu’ils s’appellent cette fois Ben ou Robert Combas.


Mais La Colombe d’Or n’est pas un lieu hanté par le souvenir de noms aujourd’hui disparus, les Yves Montand, Simone Signoret (le couple immense, à la ville comme à l’écran, s’y rencontre en 1949), Jacques Prévert ou Orson Welles. Il est bel et bien vivant. Et son cœur bat des œuvres d’art qui le constellent et offrent un regard à chaque fois neuf sur toutes ses parties, des chambres au « chauffoir », la pièce à cheminée. Ici, un bas-relief de Fernand Léger (Les Femmes au perroquet rouge) sous les tonnelles, là un pouce de César près des tables à l’extérieur ou, accroché au mur du restaurant, un tableau de Pierre Tal Coat, Breton abstrait. Peintures, dessins, sculptures (près de 180 et d’autres en réserve) sont comme autant d’enfants qui habitent les couloirs, courent les appartements. Certains sages, d’autres plus provocants. Comme ce mobile d’Alexander Calder qui, majestueux, étend ses bras au bord de la piscine.

Autour de la table, orchestrée par le chef Florian Guilbeau, sous l’œil du maître d’hôtel Grégory Bouyssou, se partagent des plats simples et familiaux. Paraît-il que Brad Pitt, Marion Cotillard ou Quentin Tarantino viennent y planter leur fourchette. Mais chut ! Avec les années, les choses « ont changé dans un sens », concède Danièle Roux : « Nous sommes devenus plus discrets. » Ici, le silence, telle la colombe, est d’or.


