Juliette Rubel « Un lieu est une scène vivante, un support d’émotions. »

L’architecte parisienne excelle dans sa capacité à adapter sa vision à l’histoire de chaque projet, le souci de l’expérience client répondant à un agencement millimétré. Chouchoute, entre autres, du Maslow Group, elle signe des adresses au fort tempérament décoratif, inspirées par sa passion pour le cinéma.
Article rédigé par
Céline de Almeida

Pourquoi vous êtes-vous d’emblée spécialisée dans les projets de restaurants et retail ?

Je suis en fait fascinée par la vitalité de ces espaces. L’architecture y joue un rôle immédiat et palpable dans l’expérience des usagers. Contrairement aux projets résidentiels, ils sont conçus pour être traversés, expérimentés sur de courtes durées. Cette nature éphémère permet d’oser des partis pris plus ambitieux, plus engagés, plus radicaux.

En quoi la restauration est-elle un terrain de jeu privilégié pour vous ?

Ce qui me passionne, c’est de trouver l’équilibre entre les espaces techniques, comme la cuisine, et les espaces accueillant du public. J’aime travailler sur cette frontière, souvent invisible, en créant des transparences qui révèlent ce qui se passe en coulisses. Ces lieux où tout se dévoile sont pour moi les plus intéressants à concevoir, car ils établissent un lien direct entre ceux qui créent et ceux qui dégustent.

Vous puisez également dans vos inspirations personnelles, et notamment dans le cinéma…

J’ai toujours été fascinée par la manière dont certains réalisateurs, comme Sofia Coppola ou Jim Jarmusch, donnent aux lieux une identité forte, presque comme un personnage à part entière. Cette idée d’incarner un lieu, de le charger de sens et de symbolisme, traverse ma façon de concevoir les espaces.

Travaillez-vous en collaboration avec des chefs ?

C’est essentiel à mes projets. Leur vision guide autant la réflexion technique que le dialogue entre la cuisine et la salle. Chaque chef a sa sensibilité : certains souhaitent révéler leurs gestes, exposer leur savoir-faire et placer le produit au centre de l’expérience. Pour Fellows, avec Mehdi Favri, nous avons conçu une cuisine ouverte entourée d’un comptoir, un espace pensé comme une scène où la cuisine devient le cœur vivant du restaurant. Au sous-sol, un laboratoire vitré dédié aux pâtes fraîches se transforme en théâtre culinaire sous les yeux des clients. Ce sont ces échanges qui donnent une âme aux lieux.

Un esprit diner américain, avec son sol à carreaux noirs et blancs et ses tabourets de bar rétro, pour Fellows, le restaurant de pâtes fraîches le plus engagé de la capitale. © Maki Manoukian
Le miroir, signature de l’architecte parisienne, s’expose chez Peppe Martyrs en éclats colorés, pour une ambiance joyeuse et décomplexée.© The Travel Buds

C’est important pour vous, au-delà du décor, d’avoir une vision globale ?

Pour moi, chaque projet est une œuvre complète. Concevoir un lieu, c’est imaginer une harmonie où l’architecture, le mobilier et l’identité visuelle s’entrelacent. Tout doit dialoguer : l’implantation générale, le mobilier sur mesure, les volumes et la lumière. Cette attention à chaque détail permet de créer des espaces harmonieux et uniques, avec une identité forte et singulière. Mes projets deviennent un support de communication pour mes clients, car ils racontent leur histoire, traduisent leur vision et résonnent avec leurs ambitions.

Quels sont, selon vous, les éléments clés pour donner le ton d’un restaurant ?

La lumière est essentielle. Elle sculpte les volumes, crée des ambiances et guide les regards. Elle doit être modulable tout au long de la journée pour accompagner les rythmes du lieu : vive et naturelle en journée, puis tamisée et chaleureuse le soir. J’aime aussi proposer une diversité d’assises : des places au bar pour des échanges spontanés, des tables de deux en banquette pour des moments intimes, ou encore de grandes tables d’hôtes pour la convivialité. Un autre élément me tient particulièrement à cœur : le miroir. Pour moi, il est presque aussi important que la lumière car il amplifie les perspectives, crée des reflets inattendus et enrichit la lecture de l’espace. Grâce aux miroirs, celui-ci devient plus vivant, presque théâtral.

Comment intégrez-vous les questions environnementales dans vos projets ?

J’intègre, notamment pour Maslow Group, une démarche globale vertueuse qui vise à réduire l’impact environnemental tout en maintenant une qualité esthétique et fonctionnelle. Cela commence par le sourcing des matériaux : je privilégie autant que possible des matières locales ou européennes et travaille avec des matériaux naturels, à l’exception des matières animales. Je me tourne aussi vers la seconde main, notamment pour les chaises. Le sur-mesure permet également de limiter le recours à des productions industrielles souvent plus impactantes, et de soutenir des savoir-faire tout en adaptant les pièces aux besoins spécifiques d’un projet.

Mobilier chiné, eau chauffée grâce à la chaleur des machines et ventilateurs en guise de climatisation, chez Maslow, l’engagement n’est pas que dans l’assiette ! © Maki Manoukian
Bar central en marbre, banquettes capitonnées, miroirs à gogo et néons, Giorgio, trattoria disco du 11e arrondissement parisien, s’inspire du kitsch italien des années 1970. © Marthe Sobczak

Quels sont vos projets actuels ?

Je viens tout juste de terminer Choukran, un restaurant marocain situé dans le Sentier, mais la plupart de mon temps est consacré à un projet ambitieux pour le Maslow Group : un nouveau restaurant dans un lieu exceptionnel près du Carreau du Temple, prévu pour le printemps.

Créatrice inspirée
Doublement diplômée en architecture (HMONP), ainsi qu’en design et architecture d’intérieur, Juliette Rubel fonde sa propre structure spécialisée dans les projets de restaurants et retail en 2017, après plusieurs expériences en agence. Depuis ses débuts avec les adresses Giorgio et Echo Deli, le studio Juliette Rubel a évolué vers des collaborations ambitieuses, telles qu’avec Officine Générale pour ses boutiques à l’international et le Maslow Group pour les restaurants Maslow ou Fellows. Basée à Paris, elle accompagne ses clients dans des projets sur mesure, de la conception générale des espaces, au design de mobilier et de luminaires.
Mehdi Favri, chef végan et cofondateur du Maslow Group
« Avec mes associées [Julia Chican Vernin et Marine Ricklin, ndlr], nous aurions pu choisir un cabinet reconnu mais nous avons préféré collaborer avec Juliette qui, comme nous, débutait… Ce qui nous a tout de suite plu, c’est son approche opérationnelle. Dans certains restaurants, on voit tout de suite que les architectes n’ont pas conscience de l’aspect technique. Juliette est carrée et sait s’adapter à un budget… Ce n’est pas une diva. Elle est flexible et sait sortir de sa zone de confort pour répondre aux demandes de ses clients. Aujourd’hui, elle fait partie à part entière de notre équipe. »
Crédit photo :
Maki Manoukian, Nicolas Mathéus, The Travel Buds, Marthe Sobczak 
Article paru dans le n°
10
du magazine.
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