« Je me voyais faire le show, à vendre du poisson » Norbert Tarayre

RESTO remonte dans le temps avec le chef qui, gamin, se rêvait le plus grand poissonnier du monde. Entre le saucier et l’apparition du micro-ondes, c’était déjà pour lui une drôle de cuisine.
Article rédigé par
Jean-Pascal Grosso

Ton enfance ?

J’étais rouquin, avec une coupe au bol et un vélo bleu. Je n’ai pas attendu que mes parents se séparent pour être lunaire. Petit déjà, j’allais au fond de la cour visiter le hangar de mon père. Et je me voyais faire le show, à vendre comme lui du poisson, à attirer les gens avec ma gouaille. Je rêvais de devenir le meilleur poissonnier du monde. Encore meilleur que papa. Avec mes propres chaluts. J’avais 9 ans et l’école ne m’intéressait pas. J’avais le sentiment de perdre mon temps. Je savais que même à mon âge, je pouvais bosser, parce que j’accompagnais mon père sur les marchés. Le poisson, c’est devenu la classe. On parle d’un produit de luxe. Quand vous avez un lieu jaune sur la table, pour moi, il a beaucoup plus de valeur qu’une Patek Philippe ou qu’une Jaeger-LeCoultre ! Une montre, ça vous donne l’heure. Un poisson, ça vous nourrit.

Norbert, enfant.

Le plat qui t’a marqué ?

Une sole juste pochée et une sauce au corail d’oursin. C’était ma mère qui le préparait. Elle avait, je me rappelle, un saucier Seb qui tournait sans arrêt. Nous avions une vieille cuisine en bois avec la cheminée intérieure. C’est là aussi que j’ai découvert mon premier four à micro-ondes, en 1988. Ma mère était comme une dingue. Au risque de faire preuve d’ostentation aujourd’hui, petit, j’avais aussi droit à du caviar. Nous étions dans l’insouciance. J’ai une autre drôle d’histoire d’enfance : ma grand-mère nous avait vendu la maison, puis elle est partie en nous laissant un homard. Il est resté 25 ans dans le congélateur. On ne l’a jamais bouffé. C’était devenu notre mascotte.

© Shutterstock

Refais-tu cette recette de sole ?

J’ai du mal avec la sole. C’est un poisson volumineux mais il n’y a rien à manger dessus. Pour bien la travailler, il faut avoir des filets, qui coûtent excessivement cher.

Ton premier restaurant ?

Mon tout premier souvenir lucide, c’étaient Les Jardins de la Vieille Fontaine à Maisons-Laffitte, et À la Grâce de Dieu, à Saint-Prix. Et mon tout premier étoilé, c’était chez Bernard Loiseau. J’avais 22 ans.

Cuisines-tu pour ta maman ?

Non. J’aimerais bien, mais vous savez, dans la vie, les gens prennent des chemins incompréhensibles. Les enfants deviennent des adultes. Alors les parents ont le droit d’avoir des griefs. J’ai tenté de savoir quels étaient les siens vis-à-vis de moi. Je n’ai pas eu de retour. 

Dans mon entourage, j’ai appris des choses qu’elle n’osait pas me dire. Je suis prêt à tout entendre. Si je suis un con, c’est acté. Si j’ai fait les choses mal, il faut me l’expliquer. Je ne suis pas un dictateur. Je ne sais pas où j’ai merdé, mais j’aimerais bien qu’elle me le dise.

Et à table avec les enfants ? Quel menu ?

J’adore manger avec eux. Récemment ? Une purée de brocolis, du chou-fleur, des poireaux, avec une vinaigrette xérès-balsamique-échalote- ail-thym-laurier, esprit chimichurri. J’ai balancé sur mes légumes. Et servi avec du bœuf snacké un peu comme une piccata. Ils ont adoré.

Crédit photo :
Shutterstock, DR
Article paru dans le n°
5
du magazine.
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