Gastronomie : l'influence française à l'épreuve du monde

Une concurrence internationale inédite redéfinit les codes de la gastronomie, mais la France confirme sa maîtrise du goût avec une nouvelle génération de chefs connectée et audacieuse.
Article rédigé par
Margaret-Mary Macdonald

Le 27 janvier dernier, Paul Marcon et son équipe ont hissé la France sur la première marche du podium des Bocuse d’Or à Lyon. Un double exploit pour le jeune chef de 28 ans, son père Régis Marcon ayant lui aussi remporté le titre il y a tout juste 30 ans, en 1995. Cette victoire à domicile n’a pourtant rien d’une évidence dans une arène internationale de plus en plus affûtée professionnellement. Depuis la création du concours en 1987, pensé comme une vitrine de la gastronomie par feu le célèbre chef Paul Bocuse, la compétition se corse à chaque édition, et près de cent pays se disputent désormais la première place.

Régis Marcon à la remise du Bocuse d’Or 2025 à son fils Paul Marcon, porté par la brigade victorieuse. Le plateau autour du chevreuil a été pensé en hommage à Paul Bocuse, ci-dessous, au centre, à New York. © Nicolas Reynau
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Rayonnement international

La France a toujours su conjuguer tradition et innovation, exportant son savoir-faire culinaire bien au-delà de ses frontières. Comme le rappelle Loïc Bienassis, historien de la gastronomie, « le gotha européen envoyait déjà ses apprentis cuisiniers faire leurs classes en France, tandis que les Français s’exportaient, comme Pierre Cubat auprès des tsars de Russie ». Des figures emblématiques telles qu’Auguste Escoffier, qui collabore avec César Ritz et révolutionne l’hôtellerie de luxe, ont permis à la cuisine hexagonale de s’imposer sur toutes les scènes du globe. Il y eut Paul Bocuse, Joël Robuchon, et désormais Hélène Darroze ou Alain Ducasse qui détient le record de 21 étoiles Michelin réparties sur ses 33 restaurants à travers le monde. « Les chefs sont peu à peu devenus des entrepreneurs et se développer à l’étranger leur permet de se renouveler », analyse Nicolas Chatenier, auteur de La Clé anglaise : Géopolitique de la gastronomie française. Sur ce point, l’Hexagone garde une longueur d’avance.

Autres perspectives

À la tête de quatre établissements à Shanghai dont Ultraviolet, table triplement étoilée depuis 2017, le chef Paul Pairet, également fondateur de Nonos et Comestibles, deux tables ouvertes depuis janvier 2023 au sein de l’hôtel Crillon à Paris, souligne « l’avantage » d’un passeport français dans la restauration internationale. Son avant-gardisme créatif a fait de lui une star en Chine, avant qu’il ne rejoigne le jury de Top Chef en 2020 et ne se fasse connaître du grand public en France. Jean-Georges Vongerichten et Dominique Crenn, autres personnalités bien connues à l’étranger, ont quant à eux tracé avec brio leur sillage aux États-Unis.

Pour Anne-Sophie Pic, cheffe la plus étoilée du monde (11 étoiles Michelin), « être français dans le domaine de la gastronomie est à la fois un privilège et une responsabilité. Il s’agit de perpétuer cet héritage tout en restant ouvert aux autres cultures, car la gastronomie est avant tout un dialogue entre traditions et innovations ». Son fief restant le restaurant Pic de Valence, Anne-Sophie Pic a ouvert des tables à Londres, Hong Kong ou encore Dubaï, où elle se met « dans une obligation de perfectionnisme ». Pour elle, les voyages sont propices aux chocs culturels. « Il me semble essentiel de rester attentifs à tous ces mouvements qui façonnent la gastronomie. C’est notre capacité à évoluer qui permettra à la cuisine française de continuer à toucher le monde. »

Le restaurant d’Anne-Sophie Pic à Valence a été élu « Best of the Best » sur TripAdvisor en 2025. Ci-dessus, Cristal Room by Anne-Sophie Pic à Hong Kong. © Anne-Emmanuelle Thion

Soft power

Face à la vitalité nouvelle et grandissante des cuisines d’Asie et des pays nordiques, la gastronomie française aurait-elle perdu son hégémonie ? Son prestige reste en tout cas intact, et les chefs conservent leur aura à travers le monde. « Rares sont les pays où le métier de cuisinier est valorisé comme en France, confirme Paul Pairet. En Chine, par exemple, les choses changent peu à peu, mais le chemin est encore long. » C’est encore une fois au grand Paul Bocuse que l’on doit cette reconnaissance, lui qui, en encourageant les cuisiniers à devenir propriétaires de leurs établissements, a donné ses lettres de noblesse à la profession. Il fut aussi le premier ambassadeur de la gastronomie française à l’étranger, génie du marketing culinaire avant l’heure, ouvrant une première table au Japon en 1979, suivie d’une autre à Disney World en Floride trois ans plus tard. Il incarne alors le mouvement de la « nouvelle cuisine », suivi de près par les frères Troisgros et par Jacques Pic. Avec sa toque haute et son air bonhomme, Bocuse capture l’imagination collective et fait déjà le buzz auprès de la presse internationale.

La pâtisserie reine

Dans un contexte où la cuisine française se voit challengée, c’est sur le terrain de la pâtisserie que la France affirme de plus belle sa suprématie. Porté par une relève audacieuse et connectée, le domaine s’amplifie, se réinvente et séduit de plus en plus. Entre les trompe-l’œil fruités de Cédric Grolet, 12 millions de followers sur Instagram, et les sculptures en chocolat monumentales d’Amaury Guichon, aux près de 17 millions de fidèles, l’univers du sucre est devenu un emblème du luxe accessible, un aperçu savoureux de la vie de palace. Des figures emblématiques telles que Pierre Hermé, dont l’influence s’étend aux quatre coins du globe, et Yann Couvreur, qui vient d’ouvrir une boutique à Miami, confirment que le « made in France » demeure la référence ultime en la matière.

Ses renards chocolatés ont contribué à son succès. Présent en Corée du Sud notamment, le chef pâtissier Yann Couvreur a ouvert sa 17e boutique à Miami en mars 2024. © DR

Face aux défis contemporains et aux mutations du paysage gastronomique mondial, la France continue de dicter les codes de l’excellence et reste une influence majeure sur la scène internationale. Le défi pour les chefs reste le même, tout en s’amplifiant face à la demande : préserver un savoir-faire d’exception et répondre à un public mondial plus que jamais avide de nouveautés culinaires.

Une École Ducasse, ici à Bangkok - Le château-restaurant au cœur de Tokyo de feu Joël Robuchon - Dominique Crenn, première cheffe aux États-Unis à obtenir trois étoiles, en 2018.
3 questions à Paul Pairet
Votre parcours à l’international a-t-il été un choix stratégique ou le fruit d’une opportunité ? On me définit souvent comme un chef globe-trotter mais ma carrière à l’étranger tient avant tout d’une coïncidence. Hong Kong a éveillé en moi une curiosité qui ne m’a plus quitté. J’ai compris que la France n’avait pas le monopole mondial de la haute gastronomie, ni de la cuisine de terroir. J’ai réalisé aussi qu’à l’étranger, on me donnerait plus vite les moyens de bien travailler. Si j’étais resté en France, j’aurais dû attendre car je ne faisais pas partie du sérail. La gastronomie française garde-t-elle son influence à l’international ? Auguste Escoffier a posé les bases très codifiées de la restauration. L’influence française en cuisine perdure grâce à cet héritage. Si, à force, elle a pu paraître un peu prétentieuse, une cuisine française plus populaire gagne aujourd’hui du terrain. C’est ce que j’ai voulu mettre à l’honneur chez Nonos. Votre nationalité française a-t-elle joué un rôle dans votre carrière ? Fatalement, oui ! La cuisine a de l’importance dans la culture française ainsi que dans le cercle familial. Et puis, grâce au mouvement de la « nouvelle cuisine » dans les années 1970, les chefs ont eu une vraie reconnaissance en France. Cela nous donne beaucoup de liberté.
Crédit photo :
The Travel Buds
Article paru dans le n°
10
du magazine.
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