Décoration

Atout séduction, les fleurs habillent les façades

Roses et glycines à profusion, lierres et fougères en cascades… une végétation luxuriante (et souvent fake) éclôt sur les façades des restaurants. Attirés comme des abeilles, les consommateurs-instagrammeurs bourdonnent en terrasse.
Article rédigé par
Aliette de Crozet

Ce n’est pas encore le printemps et pourtant, Paris bourgeonne. Partout, les façades des restaurants s’habillent de fleurs et de feuilles. Le Triadou Haussmann, La Marine, Les Oiseaux, Le Musset, Au Cadran Voltaire reflètent l’envie de vert des citadins. Là toutefois, le green assume ses artifices : ces feuillages et ces fleurs ne demandent ni rempotage ni arrosage. Tendanceur au cabinet Chlorosphère, Manuel Rucar explique cette éclosion murale par « le retour des fleurs synthétiques sur le marché et leur diversification de coloris et de finitions ». Autrefois cheap et vulgaire, la brindille en trompe-l’œil devient kitsch et sympa. D’abord parce qu’elle est désormais plus jolie : des botanistes délégués par les Néerlandais, maîtres de l’industrie florale, ont formé les industriels chinois pour qu’ils rendent pétales et sépales plus réalistes. Les matières – tergal, velours… –, se sont affinées. « Depuis dix ans, l’amélioration est saisissante. Notre rayon de végétaux artificiels a doublé. La croissance est à deux chiffres », se réjouit Idhina Sademi, responsable marketing de l’importateur Feuillazur. Paradoxalement, la plante artificielle s’appuie sur… l’écologie. 

Guillaume Buffe le confirme : l’envol de son activité date de la COP 21. 

On tartine et on butine à La Favorite, rue de Rivoli. Née en Angleterre et aux États-Unis, la mode de la façade débordant de fleurs s’implante à Paris.

Des extérieurs quatre saisons

À l’époque chez Pernod-Ricard, il constate que  « l’entretien de leurs jardinières est compliqué pour les propriétaires des restaurants ». Il fonde Optimum Design, qui tapisse de bougainvillées d’un rouge ardent les brasseries de l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt. Emmanuel Delangle (Fleur Delangle) fait un parallèle avec la vogue, en ce Noël 2022, des sapins artificiels. Si son équipe a réalisé la façade du Martin, restaurant de l’hôtel Renaissance Paris République, il relativise le phénomène : 

« Une devanture artificielle coûte cher, de 500 € la petite touche à plus de 40 000 €. » La tige de rose se vend aujourd’hui entre 10 et 20 €. 

Deschamps le bien nommé 

Alors Luc Deschamps (Deschamps Paris) prend bien soin de placer feuillages et ramures en hauteur, hors d’atteinte. Ce grand barbu esthète et jovial, installé depuis trois générations avenue Niel, veut faire de Paris un champ de fleurs. Pendant la pandémie de Covid, il transforme la façade de sa boutique en jardin suspendu. Les passants cliquent. Résultat : les livraisons décollent. Il décore ensuite les restaurants Maison sauvage, La Favorite, Le Marceau… « Un par mois, et aujourd’hui un par jour. » Les consommateurs affluent, se photographient dans la jungle parisienne, les chiffres d’affaires bondissent. Et plus les glycines, les marguerites et les pivoines factices buissonnent, mieux ça marche. Qu’importent les variétés : fleurs de cerisier pour une adresse de râmen rue de Rivoli, œillets rouges, bleus, jaunes dans un bistrot des Halles… tandis que Cheval Blanc, à Courchevel, s’orne de feuillages dorés. « C’est chic chez les bourgeois, déjanté chez les bobos », résume-t-il. 

Une nature idéalisée

Pendant 30 ans, Luc, les mains dans le froid, a flatté la délicatesse d’une tête de pivoine, humé le parfum d’une rose tango. Devenu illusionniste de comptoir, l’homme dit s’être réconcilié avec la fleur artificielle grâce aux vitrines et événements qu’il a réalisés pour LVMH : « Le luxe n’accepte pas le moindre défaut, et la nature, parfaitement imparfaite, en est pleine. » Il se souvient aussi que sa grand-mère, fleuriste chez Trousselier, réalisait déjà des œillets à base de fil de fer et de bas qui trônaient joyeusement en devanture à côté des vrais. La bataille des fleurs n’aura pas lieu.

À Arcachon aussi, les devantures en fleurs ont le vent en poupe. La Maison Gambetta, une institution, farde ici ses extérieurs pour l’hiver.

Un lifting plutôt qu’une rénovation

Pour Pascal Pelissier, propriétaire du Café de France à Levallois-Perret, longtemps président de la branche « cafés » du GNI (Groupement national des indépendants), cette vogue verte est positive : « La douceur de ces devantures enjolive Paris et adoucit les mœurs en “enlevant” le côté alcoolisé du bistrot. Le phénomène s’adresse d’abord à une clientèle féminine et aux touristes et s’inscrit dans la grammaire visuelle de la capitale : Le Flore, Les Deux Magots, La Closerie des Lilas… Enfin, pour 10 000 à 20 000 €, cela redonne un look sans obliger à refaire la devanture, ce qui coûte de 50 000 à 60 000 €. »

Crédit photo :
© Deschamps fleuriste
Article paru dans le n°
1
du magazine.
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