À l'italienne : ces français qui ont trouvé la botte

Crime de lèse-majesté, amour sincère de cette gastronomie de produit ou sens du commerce aiguisé, plusieurs groupes français se sont lancés avec succès dans la restauration à l’italienne. Un phénomène qui n’est pas près de s’arrêter.
Article rédigé par
Florence Valencourt

Si en cuisine, Italiens et Français se chamaillent pour savoir qui a la plus belle gastronomie, en salle, c’est l’entente cordiale. En effet, de ce côté-ci des Alpes, la cuisine italienne remporte un grand succès et les Français plébiscitent largement les restaurants qui la représentent pour leurs sorties. Cette histoire d’amour franco-italienne a beau remonter à Catherine de Médicis, elle semble connaître un nouvel engouement depuis une dizaine d’années. Pizzerias et restaurants italiens ont ainsi fleuri sur le territoire en version accélérée. Restauration assise ou rapide, indépendante ou franchisée, avec ses 20 775 restaurants, selon Food Service Vision, le marché de la restauration italienne en France pesait 7,087 milliards d’euros en 2023 !

Il y a dix ans, en 2015, c’est aussi le lancement du groupe Big Mamma en France, qui a beaucoup fait pour rendre la trattoria sexy, désirable... et instagrammable.

Si à l’époque, se lancer dans l’aventure quand on n’est ni italien ni restaurateur, pouvait sembler périlleux, le succès incroyable de Victor Lugger et Tigrane Seydoux a donné des idées à d’autres entrepreneurs français. Jusqu’où ?

Tigrane Seydoux, l’un des deux cofondateurs de Big Mamma. Avec Victor Lugger, les deux HEC ont bâti un empire français qui, dix ans après leurs débuts, force le respect. © Roberto Maroto

Toujours plus « big »

Avant tout, rendons à César ce qui lui appartient : les jeunes loups de Big Mamma ne sont pas les premiers Français à se lancer dans cette histoire d’amour à l’italienne. Avant eux, et connaissant toujours un certain succès aujourd’hui, on peut citer Fuxia, plus de vingt-cinq ans d’existence et encore une douzaine de restaurants en propre et en franchise dans toute la France. Mais il est vrai que Big Mamma a clairement changé la donne, et ce dès l’ouverture de leur premier restaurant à Paris, East Mamma, le 3 avril 2015.

Libertino, le restaurant Big Mamma de la rue de Paradis (Paris 10e), a été pensé par le Studio Kiki comme une grande maison toscane. © Libertino/Joann Pai

Daniele Figus, leur directeur des opérations, se souvient : « Ils attendaient une centaine de personnes, plus de 300 ont défilé le jour de l’ouverture. C’était fou ! »

Arrivé comme « runner » dans le groupe, Daniele a gravi tous les échelons. Pur produit Big Mamma, il souligne que cette méritocratie est l’une des valeurs fortes du groupe et explique en grande partie son succès.
« Ici, 60 % des managers ont grandi dans l’entreprise. » Ça, ainsi que des salaires très compétitifs (ndlr : on n’en saura pas plus) et la possibilité de mobilité internationale.
À mesure que le groupe grandit, il se dote d’un service RH conséquent : six personnes en France et dix en Italie. Et un accent fort est mis sur l’intégration. Quatre semaines de « onboarding » et trois mois d’aide au logement et aux démarches administratives. Pas courant. Pour chaque ouverture, Daniele précise : « On recrute à 60 % en interne et 40 % sur place ou en Italie. On a envie de garder une forte “italianité”. Pour cela, pas besoin que tout le monde soit italien, il faut juste que le personnel saisisse et incarne notre vibe. » Miser sur l’humain, la première clé du succès.

Pour ce qui est de la vibe, elle vient de cet accent chantant durant le service, mais pas seulement. Les lieux, la décoration « bigger than life » font beaucoup pour la réussite de Big Mamma. Tigrane Seydoux et Victor Lugger l’ont compris tout de suite. Mais il faudra attendre 2018 et l’ouverture grandiose de La Felicità pour qu’ils trouvent le Studio Kiki qui fera leur renommée et les accompagne depuis. Leur recette : du kitsch maîtrisé, de la couleur saturée, de la bonne humeur et un « mix&match » des plus osés. Les clients sont conquis et n’hésitent pas à faire la queue des heures devant les restaurants pour prendre les lieux et leur plat en photo.

Le plus grand défi du groupe aujourd’hui selon Daniele : « tenir le rythme de quatre à cinq ouvertures par an et savoir s’adapter aux différentes cultures. Pour Gloria à Londres, il a fallu s’ajuster rapidement pour ne pas se planter. La clientèle n’avait pas du tout les mêmes attentes qu’en France. Elle voulait préparer sa venue et rester à table beaucoup plus longtemps. Ça nous a servi de leçon ». Si on en croit les fondateurs, interviewés à l’occasion de leur anniversaire dans l’excellent podcast Business of Bouffe, leur conquête n’est pas près de prendre fin. Toujours plus big !

Chacun sa part de pizza

Si Big Mamma donne la sensation d’écraser le marché, il n’en est rien. D’autres petits acteurs tirent leur épingle du jeu. À commencer par Tripletta, créée finalement peu de temps après... Fondée en 2016 par Valentin Bauer et Grégory Cossu, Tripletta est une enseigne de pizzerias napolitaines qui s’est imposée comme une référence en France, avec treize restaurants, un bar et deux laboratoires de production. L’enseigne se distingue de sa grande sœur par un développement en propre, sans investisseurs extérieurs, et un modèle original de co-association avec des collaborateurs historiques, garantissant une gestion responsable, une fidélité aux valeurs et un fort ancrage local. C’est le cas pour leur second restaurant à Marseille, qui ouvre ce printemps dans le quartier des Catalans : une adresse en bord de mer, style cabanon de plage, portée par deux collaborateurs marseillais de longue date, incarnant pleinement l’esprit de proximité et d’exigence propre à la marque. En 2024, Tripletta a réalisé un chiffre d’affaires de 29 millions d’euros et emploie 350 collaborateurs. Une belle réussite.

Complémentarité des formats (trattoria, bar, lieux hybrides) et adaptabilité aux dynamiques urbaines locales comme ici à Lille, c’est la recette gagnante de Tripletta. © DR

Côté nouveaux entrants, il faut également parler du cas de Sugo et de son fondateur, Arthur Dumait. En moins de deux ans, depuis septembre 2023, il a déjà ouvert deux restaurants qui cartonnent à Paris, un autre sous le nom de Bistrotto, et envisage d’ouvrir un troisième Sugo d’ici la fin de l’année avant de développer une franchise rapidement. S’il ne communique pas sur son chiffre d’affaires « pour ne pas s’attirer des jalousies », la croissance et le potentiel sont là (voir interview en encadré).

Le succès de Sugo tient à la qualité des produits, l’authenticité de l’approche, des assiettes généreuses et un prix abordable. © Salomé Rateau

Last but not least, Alexandre Giesbert, avec son Daroco Group, affiche également une belle réussite dans le domaine de ce qu’il appelle « L’italianità à la française ». Comme il le revendique : « Bien avant que ce ne soit la mode, Daroco a inventé une certaine idée de la trattoria moderne, juste mix d’élégance à la milanaise et de sexyness à la parisienne ». De fait, avec un décor très réussi, une formule à 25 euros très aboutie au déjeuner et des cocktails de grande qualité, ses deux enseignes parisiennes (ainsi que le bar Danico) ne désemplissent pas. Pas de folie des grandeurs de son côté. Juste la sérénité de continuer sur sa lancée.

Le groupe Daroco, ici le restaurant Daroco Bourse (Paris 2e arrondissement) maîtrise l’équation « lieu extraordinaire + plats de compétition x service impeccable ». © Alizée Cailliau

Des réussites qui ne manquent pas d’inspirer toujours plus d’acteurs, avec des concepts toujours plus « niches » ou monoproduits. Après le renouveau de la trattoria, l’explosion de la street-food italienne ? Et perché no !

Crédit photo :
© DR, Roberto Maroto, Libertino/Joann Pai, Salomé Rateau, Alizée Cailliau
Article paru dans le n°
11
du magazine.
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