« Je n’ai rien contre les critiques. J’en tire toujours quelque chose de positif. Rien ne me gêne, sauf la méchanceté. » S’il n’était pas Norbert Tarayre, avec la carrure et le verbe haut qui le caractérisent, le chef serait probablement à l’heure qu’il est dans ses petits souliers. L’ancien candidat de « Top Chef », si savamment malmené jadis par Ghislaine Arabian, a, depuis, pris du galon. Le voilà fraîchement consacré chef du 19.20, l’un des deux restaurants du mythique Prince de Galles, à deux pas des Champs-Élysées. Fréquenter les palaces parisiens, ce n’était pas trop son habitude : jusque-là, le zèbre préférait exercer ses talents en région et en proche banlieue. Après les aventures des Saperlipopette à Puteaux et Macaille à Suresnes, une nouvelle page de son histoire s’écrit, où la franchise, le cœur et la tradition ont naturellement toute leur place. En plein baptême du feu, l’homme se livre à cœur ouvert.
Norbert Tarayre au Prince de Galles, est-ce l’arrivée d’une figure populaire dans l’univers du luxe ?
Il y a une question que tout le monde se pose : « Qu’est-ce que le luxe ? » Ici, nous avons envie de donner à des gens venus des quatre coins de la planète la possibilité de déguster des produits dont ils n’ont peut-être pas l’habitude. Moi, j’ai envie de revenir aux grands classiques de la cuisine française et parisienne. Simple, locale et à des prix abordables.
Vous n’êtes pas le premier…
Oui, cela se fait dans les bouillons, les adresses populaires. Voilà ce qui m’amuse : faire entrer cette cuisine dans un endroit très haut de gamme.
Rêvez-vous d’obtenir un jour une étoile ?
Je ne sais pas si j’ai la volonté, et encore moins la capacité mentale, de gérer ce type de pression. Lorsque ça devient trop sérieux, je déconne. J’en rigole.
Vous êtes-vous plié au cadre du 19.20 ?
Comme dans tout, je reste moi-même. Je sais que je peux parfois avoir ce fardeau de cuisinier exubérant de la télé. Mais j’apporte aussi une expérience que la plupart des gens ne soupçonnent pas. Je suis un enfant qui a découvert la cuisine sur le tard et qui lui voue désormais une passion absolue.
Repensez-vous à cet enfant ?
J’ai toujours le complexe de l’usurpateur. Alors, forcément, je me remémore régulièrement mon passé, la manière dont je me suis débrouillé, avec au départ un faux CV chez Bernard Loiseau, sans même le désir de devenir cuisinier à la base ! Mes premières années passées à Londres, je voulais juste survivre. Intensément.
Un faux CV ?
Oui. J’avais repéré des adresses prestigieuses, des noms avec des macarons dans les guides : Éric Westermann, Marc Haeberlin, Jean-Georges Klein… Paul Bocuse, non, c’était trop gros ! Mais, à ce moment-là, j’étais simple commis. Les commis, en cuisine, on s’en fout un peu.
Dure, votre expérience à Londres ?
Oui, à cause de mon caractère. Je venais de rater mes examens de charcutier. Je suis parti là-bas avec 3 000 francs (près de 500 €, NdlR). Comme j’adorais faire la fête, j’ai tout claqué en un temps record. Et je me suis retrouvé à la rue faute d’avoir payé mon loyer ! La première nuit, j’ai dormi sur un carton dans Oxford Street. Le lendemain, j’ai essayé d’être frais pour ne pas me faire pincer par le chef. Mais par humilité, j’ai fini par tout lui raconter.
S’il n’y avait pas eu la télé, qu’est-ce qui aurait changé ?
Tout. La télé a été un accélérateur intéressant. Et un exutoire. Ça m’a permis de m’éclater, de me décoincer aussi. En fait, je ne corresponds pas vraiment à ce que vous voyez à l’écran. Je suis très casanier. J’aime bien être seul. Je ne parle pas à beaucoup de monde. La télévision m’empêche de sombrer dans cette fragilité dont pas mal de chefs souffrent. De me faire trancher, étriller par l’opinion publique, ça me permet aussi de rester en vie.
Ce n’est pas non plus une sinécure…
Bien sûr. Vous êtes à nu. À disposition de tout le monde. N’importe qui, à n’importe quel moment, peut vous piquer, vous faire mal. La moindre parole, la moindre prise de position, la moindre erreur, c’est repris, relayé. Soit vous êtes starifié, soit on vous démonte la tronche. Quand j’ai vu le ramdam que l’arrivée de Jean Imbert au Plaza Athénée a provoqué, j’en ai attrapé une urticaire géante. Il n’avait pas mis les pieds en cuisine qu’il s’en prenait plein la gueule. C’était immonde.
Quelques mots sur Jean Imbert ?
Avec Jean, on se déteste d’amour. Nous sommes totalement opposés. Je viens de la banlieue, avec des handicaps énormes : psychologiques, sentimentaux, familiaux… Lui, il est mieux parti, même s’il en a chié. Il a fait l’École Bocuse. Je suis absolument fan de sa personnalité et de sa cuisine.
Votre plus gros défaut ?
Je râle tout le temps parce que je veux que tout soit parfait. Alors il faut que je me pose. Je me mets dans mon canapé avec mes enfants et là, tout va bien.
Aucun vice ?
Je suis amoureux du vin, mais un peu trop dans l’excès. Du pain, du vin et du fromage et je repars dans mes travers ! Après, vous me retrouvez sur un brancard. Moi, ce n’est pas le Covid qui aura ma peau mais les bons produits.
Vous souvenez-vous de votre plus grosse bourde en cuisine ?
En commençant, chez Marc Veyrat, j’ai lavé 24 caisses de salades à l’eau chaude. En plus, avec ma grande gueule, je lui ai dit : « Chef, quand tu te laves le cul, tu le fais bien à l’eau chaude ? » Je crois avoir encore la marque de sa chaussure gravée sur les fesses.
Un nouveau restaurant, un nouveau livre, leur promotion… Avec tout ça, avez-vous le temps d’avoir une vie de famille ?
Lorsqu’on lance un restaurant, non. C’est un métier d’égoïste. Alors on demande aux autres de supporter vos absences. Ma conjointe, mon fils, mes trois filles supportent. Même mon ex, parce qu’elle sait que je serai moins présent pour les enfants. Mais tous savent très bien que je me rendrai à nouveau disponible à un moment ou à un autre.