Cocktail spirit, la nouvelle vague de la mixologie

Quelles tendances agitent le monde de la mixologie ? Retour des liqueurs françaises, ascension du sans-alcool, cocktails multisensoriels… état des lieux de la nouvelle scène liquide en France.
Article rédigé par
Tatiana Jean-Dorize

La mixologie, mot dérivé de l’anglais mixology, désigne l’art de sélectionner et de mélanger des ingrédients en vue d’élaborer un cocktail. Une définition simple pour un terme qui recouvre un univers aux multiples facettes, mû par une créativité sans bornes. 

Le retour en force des liqueurs françaises

Avec 1,2 million de litres écoulés en 2022, la Chartreuse, surnommée « la vieille dame », semble avoir retrouvé sa jeunesse d’antan. Depuis quelques années, Chartreuse, Suze et autres liqueurs iconiques françaises reprennent une place de choix dans nos verres. Alors qu’elles étaient tombées en désuétude au fil du temps, les voilà remises au goût du jour dans les cocktails. Elles y apportent cette touche bleu-blanc-rouge désormais très appréciée des consommateurs. « La mixologie permet de dépoussiérer l’image d’alcool de grand-mère que pouvaient avoir ces liqueurs », souligne Matthieu Henry, cofondateur de Belle Gnôle, un embouteilleur indépendant de spiritueux artisanaux français. « En plus du côté local et circuit court, les Français sont friands de ces liqueurs car elles sont riches d’une histoire et d’un savoir-faire ancestral », pointe-t-il. Bilan, elles tirent leur épingle du jeu : leur consommation a progressé de 29,4 % dans les cafés, hôtels et restaurants en 2021, à la sortie de la crise sanitaire. Et il semblerait que cette vogue d’un cocktail plus local a fait germer les idées au-delà des comptoirs. Vincent Girodet, à la tête de L’Alambic Parisien, en sait quelque chose. Son créneau ? Distiller des herbes aromatiques et des fruits qui poussent en Île-de-France et sur les toits parisiens. Fenouillette de Ménilmontant, fleur de sureau ou tomate plein champ du Val-d’Oise : ces liqueurs artisanales séduisent déjà les bars des hôtels parmi les plus réputés de la capitale, à l’instar du Nolinski ou du Peninsula.

À l’Alambic Parisien, deux alambics en cuivre capturent les précieux parfums des plantes franciliennes. © Yves Kharfan
Le Nolinski Paris, service cinq étoiles jusqu’au bar à cocktails, dans le cadre feutré du Grand Salon. © Guillaume de Laubier
L’hôtel Peninsula Paris propose trois ambiances : le bar Kléber, cosy et ultra-chic, mais aussi le Rooftop et la Terrasse Kléber.

Le sans-alcool prend son envol

Les boissons sans alcool se sont peu à peu immiscées dans les verres des Français avec le Dry January (« janvier sobre », une campagne de santé publique incitant à un mois sans alcool). Aujourd’hui, leur consommation dépasse largement le mois de janvier et séduit de plus en plus les jeunes, dont la consommation d’alcool recule. En 2022, 23 % des 18-25 ans déclarent ne pas boire d’alcool, soit 5 points de plus qu’en 2021, selon le baromètre Sowine-Dynata. Un engouement qui n’est pas près de retomber : une étude de l’International Wines and Spirits Record (IWSR) annonce que le marché des boissons sans alcool et faibles en alcool devrait croître de 7 % en volume par an jusqu’en 2026. Côté cocktails, le sans-alcool est porté par une nouvelle génération de créateurs. Margot Lecarpentier, cheffe mixologue du très branché Combat, dans le quartier de Belleville, à Paris, propose depuis son ouverture des « mocktails » aussi qualitatifs que ses cocktails. Pour elle, ce n’est pas un choix, mais une évidence. « Que ce soit pour les femmes enceintes, pour une question de religion, de santé, ou simplement par choix, chacun devrait être servi de la même manière », argue-t-elle. Matthias Giroud, mixologue mondialement connu à la tête de l’atelier créatif L’Alchimiste Lab, constate que l’alcool ne dirige plus le monde du bar : « La mixologie n’est plus forcément synonyme d’alcool. Il y a tant de possibilités de créer sans ! » s’enthousiasme l’auteur de Cocktails No Low (éditions Gründ). Parmi les adeptes des boissons sans alcool, 39 % souhaitent « préserver leur santé », selon le baromètre Sowine-Dynata 2023. Surfant sur cet argument, une autre tendance déjà répandue aux États-Unis pourrait voir le jour en France : les functional drinks, des boissons sans alcool à base de plantes adaptogènes, aux vertus relaxantes, anti-stress ou euphorisantes. La promesse ? Trinquer, sans faire trinquer sa santé. 

Matthias Giroud, mixologue à la tête de l’atelier créatif L’Alchimiste Lab : « La mixologie n’est plus forcément synonyme d’alcool. »
Margot Lecarpentier milite pour offrir des cocktails plus inclusifs au bar Combat, dans le quartier de Belleville, à Paris. © Christophe Meireis

Des cocktails multisensoriels

Plus que de simples mélanges d’ingrédients, certains cocktails mettent tous nos sens en éveil. Au bar de l’Hôtel Barrière Le Majestic, à Cannes, le mixologue Emanuele Balestra confectionne des parfums comestibles. Ces fragrances, issues des mille et une essences de patchouli, bergamote ou basilic thaï de son potager, sont aspergées sur un verre spécialement conçu pour épouser la forme du nez. Chaque gorgée se respire donc autant qu’elle se boit dans une formidable symbiose. Le Little Red Door, un bar parisien dont seuls les initiés connaissent l’entrée secrète, offre une tout autre expérience : depuis trois ans, le bar affiche une carte « de la ferme au verre », où les cocktails se veulent le miroir du travail des producteurs. On sirote ainsi Tomato, comme on croquerait dans une tomate juteuse et rafraîchissante, ou encore Olive, un cocktail évoquant un parfum d’huile d’olive qui transporte en Provence. « Tous les sens servent à raconter une histoire dans le verre, explique Matthias Giroud. Lorsqu’un hôtel me demande de créer une carte, je commence par m’imprégner de son univers pour le réinjecter dans les cocktails », illustre le mixologue, cofondateur du Drink Design, une nouvelle discipline où les cocktails se lisent comme de véritables histoires liquides. Ressentir le vertige d’un premier amour au détour d’une gorgée douce-amère ou éprouver la sensation grisante d’un bain de mer en posant ses lèvres sur une écume iodée, telle est la promesse du Drink Design. Une dégustation selon un scénario précis, dans un décor digne d’une pièce de théâtre, où rien n’est laissé au hasard. « In fine, cette mise en scène est là pour créer de l’émotion », résume Matthias Giroud. À l’image des mélodies de Duke Ellington qui s’écoulent du pianocktail dans L’Écume des jours, les émotions se distillent dans les verres des Drink Designers. Une nouvelle génération qui se forme actuellement au cœur des Alpes, dans l’école du maître sirupier Routin dédiée à cet art du cocktail 3.0.

À l’Hôtel Barrière Le Majestic, à Cannes, le mixologue Emanuele Balestra confectionne de véritables parfums liquides. © Jean-Mcihel Sordello

8 recettes de cocktails avec ou sans alcool sont à retrouver dans l'article "Des cocktails à toute heure".

Crédit photo :
Yves Kharfan, Guillaume de Laubier, Christophe Meireis, Jean-Mcihel Sordello
Article paru dans le n°
3
du magazine.
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