Patrice Piveteau, maître de chai, "J'ai effectué un assemblage de plus de 20 cognacs"

Depuis 2011, Patrice Piveteau élabore les cognacs Frapin. Rencontre avec un maître de chai dévoué depuis plus de 30 ans à cette maison discrète, attachée à la tradition, qui prend le temps nécessaire pour atteindre l’excellence.
Article rédigé par
Sylvain Ouchikh

Quel est votre parcours chez Frapin ?

Je suis arrivé au sein de la maison en 1991, d’abord en tant que directeur de la production. J’avais en charge la conduite de notre vignoble de 240 hectares. Avec Olivier Paultes, qui était le maître de chai à l’époque, nous formions une vraie équipe. Quand il est parti dans une autre maison de cognac, en 2011, j’ai pris le relais. La transmission s’est faite naturellement. 

Avez-vous entrepris de grands changements ?

J’ai le privilège d’évoluer au sein d’une maison familiale, sans pression des actionnaires, où la pérennité fait partie de la culture d’entreprise. Nous travaillons sur le long terme, nous ne faisons donc pas de grande révolution. Nous avons juste comme objectif de continuer à produire des cognacs reconnus dans le monde entier. J’ai du temps, et c’est un vrai luxe. Seule la qualité compte.

Le maître de chai, Patrice Piveteau, a le privilège de veiller sur les eaux-de-vie, parfois centenaires, de la maison Frapin.

La tradition est omniprésente, et pourtant vous innovez sans cesse ?

Effectivement. Nous avons lancé la septième version d’un multi-millésimes, un assemblage de trois millésimes (1990, 1991 et 1993) et, bientôt, le « 1990 », un cognac issu d’une seule et unique vendange, celle de cette année-là. Il a donc vieilli plus de 30 ans dans nos chais avant d’être embouteillé et mis sur le marché.

Le long vieillissement semble jouer un rôle déterminant dans votre processus d’élaboration ?

Oui, c’est la touche Frapin. Nous pouvons le faire car nous sommes une entreprise familiale. Prenons l’exemple du « 1990 » que nous sortons ce printemps : il a la particularité d’avoir séjourné au sein d’un chai humide pendant plus de trois décennies. Dans ce type d’endroit, l’évaporation se fait plus sur l’alcool que sur l’eau. Par conséquent, le cognac est plus rond. 

La maison Frapin élabore ses cuvées uniquement avec les raisins issus de son propre vignoble – une pratique rarissime en Cognac.

Vous avez différents types de chais à votre disposition ?

Tout à fait. Deux nous permettent d’introduire de la variabilité dans nos produits : l’un est humide, l’autre est sec. Ces environnements différents influent sur le vieillissement des cognacs. Je joue avec ces deux variables car tous nos raisins ne proviennent que de notre vignoble, situé en Grande Champagne. 

Comment élaborez-vous un cognac ?

En général, je pars d’une idée. J’effectue ensuite des dégustations à l’aveugle. Après cette étape, je sélectionne des échantillons. C’est le principe de l’entonnoir. Il me reste alors deux ou trois fioles, le plus souvent. Puis je prévois leur évolution en fonction du type de chai d’où elles sont extraites (sec ou humide). Pour notre cuvée « Plume », notre plus prestigieux cognac, j’ai effectué un assemblage de plus de 20 cognacs de notre chai Paradis, là où séjournent nos eaux-de-vie de plus de 60 ans d’âge. 

Le château Fontpinot, propriété de la famille, est situé au cœur des vignes familiales de la Grande Champagne.

Selon vous, le plus important, est-ce la vinification ou la distillation ?

Nous avons une chaîne de production très longue dans le cognac. Outre les deux procédés (vinification puis distillation), nous introduisons un long vieillissement. C’est un ensemble. Tout est lié. Il est certain que la partie agronomique est importante car elle prépare la distillation. Chez Frapin, celle-ci se fait avec les lies. C’est indispensable car nous avons la chance d’avoir des raisins issus de la Grande Champagne. Cela donne de la complexité et de la longueur. Quand le cognac est dans le verre, il va évoluer. L’apport des lies est primordial. 

Vous travaillez seulement avec le cépage ugni blanc ?

Notre vignoble est composé à 99 % de ce cépage. C’est le meilleur, selon moi. Il est le plus régulier et le plus résistant. Mais je ne m’interdis pas des essais. J’ai planté 3,3 hectares du cépage folignan. C’est un croisement de folle-blanche et d’ugni blanc. Il est plus précoce, il apporte une touche aromatique intéressante, notamment sur sa jeunesse. Je ne l’utilise pas encore car chez Frapin, nous travaillons sur la durée. J’attends qu’il ait une vingtaine d’années. Mais je peux déjà affirmer que ce ne sera pas une révolution. Il va surtout apporter une touche de variabilité supplémentaire dans nos créations futures. C’est une innovation en douceur…

C’est dans ce bureau historique, au milieu des fioles de dégustation, que se créent les grands cognacs de la Maison. 
Mieux comprendre le cognac
Le cognac est une eau-de-vie élaborée à partir de raisins – le cépage principal est l’ugni blanc. Il existe différentes catégories de cognac : du VS au XXO, sans oublier les millésimés et les cuvées de prestige. Tout dépend du temps de vieillissement dans les chais : le VS doit être âgé de 2 ans minimum, le VSOP de 4 ans minimum, le XO de 10 ans minimum et le XXO de 14 années minimum. On trouve aussi des millésimés (issus d’une seule année) et des cuvées de prestige, qui sont un assemblage de plusieurs eaux-de-vie, dont certaines peuvent avoir plus d’un siècle.
La maison Frapin
Cette maison de cognac, située à Segonzac, est l’une des plus anciennes puisqu’elle date de 1270. Elle possède son propre vignoble de 240 hectares en Grande Champagne, ce qui est très rare car la plupart des marques connues et réputées achètent les raisins et les eaux-de-vie à des vignerons et ne disposent pas de leur propre vignoble. Dans l’arbre généalogique de la famille, on retrouve un certain Rabelais, l’auteur de Pantagruel ou de Gargantua, célèbres bons vivants…
Crédit photo :
DR
Article paru dans le n°
2
du magazine.
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