Le nouveau langage de l'uniforme

Puisant un second souffle dans les tendances du streetwear, les uniformes en salle s’émancipent des codes académiques pour raconter une histoire, les valeurs d’un établissement… et s’inscrire dans une expérience globale du client.
Article rédigé par
Céline Amico

Pantalon taille haute inspiré du smoking Saint Laurent pour les dames, veste et foulard dandy pour les messieurs… le personnel du restaurant de l’Hôtel de Crillon, L’Écrin, a fière allure. Il faut dire que la célèbre institution parisienne de la place de la Concorde, une étoile au Guide Michelin, a mis les petits plats dans les grands en confiant la confection de sa garde-robe au créateur Hugo Matha. Coqueluche des rédactrices de mode, le jeune designer aveyronnais a fait souffler un vent de modernité sur le vestiaire du staff. Son pari ? Allier tradition et accents casual audacieux, à rebours de l’uniforme classique. Mission relevée haut la main. Si les étoffes nobles (soie, laine, coton…) sont toujours de la partie, gage de l’image d’excellence du Crillon, elles se singularisent désormais par des coupes plus ajustées, des éclats de couleur inattendus (turquoise, orange, bordeaux…) et s’accompagnent d’une kyrielle d’accessoires (gants, chapeau…) à faire pâlir d’envie la plus pointue des fashionistas. Et puis, détail non négligeable, la cravate a disparu, supplantée par un élégant foulard en soie, noué différemment selon les services. Au sein du nouveau restaurant-grill du Crillon, Nonos, inauguré en janvier dernier, elle a même été remplacée par un nœud papillon et des bretelles à rayures !

Point de cravate ni logo pour les tenues du staff de l’Écrin, restaurant étoilé de l’Hôtel de Crillon à Paris… Mais un sens aigu de l’élégance à la française, revu et corrigé par le créateur de mode Hugo Matha.

L’uniforme de salle fait son défilé

Loin de ne concerner que les tables prestigieuses de la capitale, cette révolution vestimentaire s’illustre peu ou prou chez l’ensemble des professionnels du secteur. « Du fast-food à la brasserie en passant par l’établissement de luxe, les codes vestimentaires dans la restauration française ont connu des évolutions notables ces dernières années », constate Pascale Richard, responsable du bureau de style Bragard. Avant d’ajouter : « Il y a encore dix ans, les tenues en salle présentaient des coupes amples, un style moins affirmé. Elles sont désormais confectionnées plus près du corps, dans un répertoire de teintes élargi, directement inspirées du streetwear ou du prêt-à-porter de luxe… tout en restant robustes et confortables ! Des performances rendues possibles par l’utilisation de tissus techniques comme le Tencel ou le polyester recyclé qui, associés au lin ou au coton, combinent un porter souple, agréable, et une résistance à toute épreuve. » 

Tablier de caviste rouge incandescent, sage jupe plissée bleu marine… balayant plusieurs décennies d’histoire du vêtement de service, ces clichés Lafont racontent l’évolution de la société comme celle des codes de l’art de vivre.

Assurer le confort de son staff en captant l’air du temps, voire en traduisant sa vision de l’hospitalité, son attachement à une tradition régionale, à des valeurs d’éco-responsabilité, voilà le nouveau credo des professionnels de la restauration. 

La portée symbolique du vêtement

Et ce ne sont pas les équipes des brasseries Nouvelle Garde, installées rive droite, à Paris, qui affirmeront le contraire. Ici, derrière les devantures en bois miel ou vert acidulé, point de chemise et veston tirés à quatre épingles ; un esprit néo-brasserie, joyeux et décomplexé, s’incarne autour de petits plats classiques revisités, mitonnés à partir de produits français et de saison, et d’une cohorte de serveurs en pantalon de toile, tablier et tee-shirts à l’effigie du restaurant. Même constat de l’autre côté de la Seine chez le chef Ludovic Deville, aux manettes de l’éco-table Le Grand Beau, qui propose une expérience globale autour de l’écologie et de la durabilité. Au programme : un décor lumineux, tendu de bois clair et de galbes organiques, signé de l’architecte d’intérieur Delphine Sauvaget ; mais surtout une carte locavore, à base de produits bio transformés sur place, mise en musique par une brigade et des serveurs vêtus de tenues en matières recyclées. Une parenthèse « éco-friendly » complète et 100 % immersive.

Pourquoi une tenue blanche pour les chefs ?
Toque, veste et tablier blancs : l’uniforme immaculé du chef fait son apparition au XIXe siècle. En 1822, en effet, conscient que sa tenue incarne le caractère irréprochable de son savoir-faire, le premier grand cuisinier de l’époque, Marie-Antoine Carême, adopte une toque et une veste blanche double boutonnage, lui permettant d’inverser les pans en cas de tache… Cette spécificité devient indispensable à la fin du XIXe siècle, lorsque l’inventeur de la gastronomie moderne, Auguste Escoffier, érige la blancheur de la parure du chef comme gage de confiance pour les clients.
Des podiums aux étoiles
Portées par une vision commune d’excellence et un savoir-faire reconnu dans le monde entier, tables étoilées et maisons de luxe multiplient les collaborations. C’est ainsi que la marque italienne Gucci a imaginé pour la saison 2023 du restaurant Sylvestre, à Courchevel, de sublimes combinaisons pour femme en soie noire ornées d’un zip doré et d’une ceinture à boucle G. Le créateur Louis-Marie de Castelbajac, lui, signe pour Lafont, spécialiste du vêtement de travail, deux nouvelles vestes pour chefs étoilés. L’une d’elles, « Ursa », s’inspire de la constellation de la Grande Ourse. « Ce modèle brodé main est piqué d’un fil réfléchissant reproduisant la forme de casserole de la constellation, explique le designer. Une manière pour moi de revisiter ce vêtement fonctionnel avec modernité et une certaine poésie… en évoquant l’analogie entre voûte céleste et hautes sphères gastronomiques. » Du grand art !
Crédit photo :
Adolphe Lafont, Magazine Elle du 2 août 1993/ photographie Friedemann Hauss, Emmanuelle Corre, Chillinmaster, DR
Article paru dans le n°
3
du magazine.
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