Story

La Cigale

Nantes (Loire-Atlantique)
En plein cœur du centre-ville de Nantes, face au théâtre, cette brasserie édifiée il y a plus d’un siècle dévoile son merveilleux décor Art nouveau, qui en a fait un incontournable de la cité des ducs de Bretagne.
Article rédigé par
Céline de Quéral

Le 1er avril 1895, c’est l’effervescence au numéro 4 de la place Graslin : aujourd’hui, un nouveau restaurant ouvre ses portes, en lieu et place d’un magasin de vêtements, « Le Pont Neuf ». Quarante-six convives sont attendus pour le dîner d’inauguration. Le menu, composé, entre autres, de bouchées à la Nesles, turbot sauce crevettes, foie gras, dinde truffée, Bourdaloue à l’ananas, va se prolonger tard dans la nuit. À l’instar des grandes brasseries prisées au xixe siècle, cette Cigale affiche un « air de richesse et de luxe qui [éblouit] tous ceux qui [entrent] dans cette salle pour la première fois », rapporte le journal Le Phare le 3 avril de la même année.

Célébration de l’oisiveté dans la fable de La Fontaine, la cigale, mandoline en bandoulière, se dresse au sommet de la pendule qui surplombe le bar.

L’établissement doit son nom aux cigales, fil directeur de son flamboyant décor. C’est Émile Libaudière, architecte-céramiste et aquarelliste nantais, qui a façonné ce lieu à l’exubérance colorée. Pour mener à bien son projet, il s’est entouré d’Émile Gaucher, sculpteur, de Georges Levreau, peintre, et de Louis Préaubert, décorateur et tapissier, multipliant ainsi les techniques et les savoir-faire. Bien sûr, la chanteuse ailée de la fable de La Fontaine est partout, imaginée par Libaudière vêtue d’un tutu blanc. Mais on peut également admirer, ici et là, un Pierrot et une Colombine sculptés, des cariatides en bois, de nombreux thèmes évoquant la nature, typiques du style Art nouveau – fleurs en stuc, feuilles d’acanthe, soleils stylisés… – ou encore des scènes peintes – couple élégant, maraîchère, demi-mondaines… De majestueux miroirs multiplient à l’infini les motifs des décors en céramique : cigales encore et toujours, lumineux astre doré surplombant le bar, végétaux, paons, oies, drakkars, mais aussi gerbes de blé et de houblon, bocks de bière, coupes de champagne… rappelant qu’ici, on est là pour manger et boire !

La Cigale, c’est le lieu où viennent les célébrités lors de leurs escales nantaises : Jean Marais, Philippe Noiret, Ariane Ascaride, Pierre Arditi, Laurent Ruquier, Muriel Robin, Bernard Lavilliers, Stephan Eicher, Marianne James, Jean Nouvel… figurent parmi les nombreux artistes à avoir griffonné quelques mots élogieux sur le livre d’or de la brasserie.

Le succès est immédiat : les notables et bourgeois viennent s’y encanailler avec les actrices et danseuses du théâtre voisin. Peu à peu, tous les Nantais s’approprient La Cigale, où s’attablent également les artistes de passage. « Les surréalistes avaient fait de cette brasserie […] leur lieu d’élection. André Breton, Vaché, Prévert ont rêvé devant les cigales en tutu », racontait l’autrice Geneviève Dormann.

Ce décor éblouissant inspira ces mots à Jean d’Ormesson : « (…) un de ces endroits bénis où l’Histoire se pare de ses vêtements les plus gais pour mieux nous séduire et nous retenir. »

En septembre 1943, la Cigale échappe aux bombardements qui touchent durement la ville. Le cinéaste nantais Jacques Demy racontera au journal Ouest-France : « J’avais 12 ans. […] je suis sorti de chez mes parents pour me précipiter ici. Oui, La Cigale était pratiquement épargnée. Et j’ai respiré comme si j’avais personnellement échappé à un danger. » Presque vingt ans plus tard, il la transformera en cabaret, L’Eldorado, le temps du tournage de Lola (1961). Anouk Aimée, inoubliable, y incarne une chanteuse qui fascine les marins de passage. 

Remplacé dans les années 1960 par un présentoir en Formica, le magnifique bar en chêne sculpté a retrouvé sa place en 1982, sous l’astre en mosaïque doré devant lequel badinent Pierrot et Colombine, hommage à la commedia dell’arte.

Classée Monument historique en 1964, la brasserie connaît cependant des hauts… et des bas. Transformée en self-service, elle se démocratise et ne désemplit pas… au détriment du décor, qui n’est pas entretenu : des flippers masquent les céramiques, et l’on vient y manger du couscous au son des derniers tubes diffusés par le juke-box. Il faut attendre un nouveau propriétaire, en 1977, pour que des travaux de restauration soient entrepris. Mais c’est Yannick Curty, directeur de l’établissement, et Michel Pavageau, cogérant, qui, en 1982, vont décider de « refaire chanter la Cigale à toutes les saisons », en collaboration avec les Bâtiments de France. Après une rénovation d’envergure, le décor retrouve son lustre, inspirant ces mots au réalisateur coréen Im Kwon-taek : « C’est un endroit où il y a la beauté et le goût. »

L’exubérance décorative et les couleurs éclatantes éblouissent lors de la traversée des salles en enfilade de la plus célèbres des brasseries nantaises.
Pourquoi il faut s’y attabler au moins une fois
Ouverte tous les jours de 7 h 30 à 0 h 30, La Cigale est un lieu cher au cœur des Nantais. Comme l’évoque son directeur Yannick Curty, non sans humour : « On y vient pour des demandes en mariage, des baptêmes, des communions… des divorces aussi ! » Petit déjeuner, tea time, déjeuner, dîner avant ou après le spectacle… Ici, la cuisine est bien sûr de saison, à base de produits le plus souvent locaux, mêlant classiques de brasserie (plateau de l’écailler, tartare de bœuf, poisson sauce beurre blanc, tropézienne) et créations maison (filet mignon rôti, pastèque grillée, chou pak choy et jus gingembre épicé).
Crédit photo :
Brasserie La Cigale
Article paru dans le n°
3
du magazine.
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