Hélène Darroze : trois étoiles et beaucoup d’amour

Triple étoilée, Hélène Darroze n’est pas du genre à se reposer sur ses marmites. De Londres à la Provence, en passant par Paris où elle vient d’ouvrir un restaurant de burgers, elle exprime partout sa créativité avec beaucoup de sincérité et de générosité. Tête-à-tête avec l’une des meilleures cheffes du monde.
Article rédigé par
Jean-Pascal Grosso

Grâce à l’émission « Top Chef », dont la saison 14 est actuellement diffusée sur M6, elle dit être « reconnue dans la rue ». Mais Hélène Darroze n’a pas attendu le petit écran pour briller au firmament de la cuisine française. Aujourd’hui aux commandes de quatre restaurants – Hélène Darroze at The Connaught à Londres, Marsan et Jòia à Paris et Hélène Darroze à Villa La Coste en Provence –, elle se lance dans l’aventure du burger « premium » avec un nouvel établissement parisien, le Jòia Bun. « À la tête de chaque adresse, souligne-t-elle, il y a au moins deux ou trois personnes que je connais parfaitement. Et inversement, je sais qu’elles connaissent et respectent mes valeurs. »

Les haricots du Jardin gastronomique à Lourmarin« juste sautés, puis en sauce vierge avec des coques et du chorizo sur un filet de rouget. »

Quatre restaurants, des étoiles, des récompenses, une émission de télévision… et aujourd’hui, Jòia Bun. Comment est né ce nouveau projet ?

Pendant la pandémie, nous avions lancé une ligne de burgers qui nous a beaucoup amusés et qui, d’autre part, a énormément plu à nos clients. Ils nous les ont réclamés. L’idée était donc de continuer cette aventure. Nous n’avons pas pu le faire au restaurant Jòia, faute de place. Alors, en accord avec mes collaborateurs, nous avons décidé de trouver un nouveau lieu.

Pourquoi le burger ?

Il faut vraiment goûter celui de Jòia Bun. Le pain est préparé dans notre boulangerie, les sauces sont maison, nous sourçons chez les producteurs… Ce sont des produits « premium ». Sincèrement, on peut faire de très belles choses sur de la street food. 

« Même dans le burger, j’ai beaucoup à apprendre. Nous avons travaillé avec différents bouchers pour trouver le steak parfait. Quel morceau, quelle viande, quel pourcentage de gras... Rien n’est fait au hasard. »

Un burger dans votre carte qui dénote en particulier ?

Nous en avons mis au point un à base de viande d’Aubrac et de guanciale. Et pour le fromage, c’est un bleu fumé découvert au Pays basque… Vraiment, après l’avoir goûté, je me suis dit qu’il pourrait même figurer à la carte du Marsan.

Comment fait-on pour innover constamment ?

Innover, je ne sais pas trop ce que cela signifie en cuisine. Créer, imaginer de nouveaux plats, c’est plutôt comme ça que je vois mon métier. Si je n’avais plus ces moments de création avec mes collaborateurs, je pense que j’arrêterais. Il faut toujours être en mouvement et dans la remise en question du cœur de l’assiette.

Chez Marsan : « je sers un pavé de saumon sauvage de l’Adour cuit sur la peau avec une mousseline de pomme de terre fumée et une crème épaisse au caviar d’Aquitaine. »

Par rapport à l’époque de vos parents, selon vous, quelle évolution majeure la cuisine a-t-elle connue ?

La mondialisation. Ne serait-ce qu’en ce qui concerne les épices, par exemple. Mon père et mon grand-père – j’ai vu les deux générations avant moi – découvriraient aujourd’hui des choses extraordinaires. Il y a eu l’ouverture sur l’Italie dans les années 1970-1980, puis sur l’Asie, qui a été encore plus percutante. Je ne parle pas forcément là de produits, mais de techniques. Regardez tout ce qui se passe aujourd’hui autour de la fermentation. Il y a une décennie, personne n’y pensait. Ce sont les pays nordiques qui ont fait notre éducation sur ce point.

Paris, Londres, la Provence… regrettez-vous parfois de ne pas avoir le don d’ubiquité ?

À un moment, oui. D’ailleurs, quand je suis partie à Londres, monsieur Ducasse, qui me connaît bien, m’a dit : « Maintenant, il va falloir apprendre à déléguer ! » C’est quelque chose que je ne savais pas faire et que j’ai appris petit à petit. Cela n’a pas été facile. J’ai souvent eu un sentiment de culpabilité à ne pas être dans un établissement… mais de moins en moins. C’est une question de maturité. Et surtout, aujourd’hui, je suis entourée d’une douzaine de personnes à qui j’ai transmis et de qui j’ai aussi appris, d’ailleurs. Je peux avoir confiance en elles.

« Ici, dans les cuisines de The Connaught à Londres, comme ailleurs, avec les années, j’ai appris à déléguer. Durant les dernières fêtes de fin d’année, j’ai choisi de prendre des vacances. Je n’ai rien fait… mais il y a toujours en moi ce petit sentiment de culpabilité par rapport à mes équipes qui travaillent. »

Vous êtes issue de trois générations de cuisiniers. Vous auriez pu tourner le dos à la dynastie. Vous n’avez pas eu le désir de vous rebeller ?

Au départ, ce n’était pas évident. Je n’avais pas fait d’études pour ça. Mais la passion a pris le pas… et peut-être aussi un peu l’ADN. À un moment donné, j’ai ouvert les yeux : c’est ce que j’aimais réellement faire. Même s’il n’est pas facile, j’adore mon métier.

« Je n’ai jamais voulu qu’on m’appelle cheffe (...), ce n’est pas avec un titre qu’on se fait respecter », dites-vous. Alors, d’où naît le respect ?

De l’exemplarité, c’est tout. Et de la recherche constante de l’excellence. C’est ce que je demande à mes équipes et que je m’impose à moi aussi. Cela ne nous réussit pas trop mal.

Vous avez été élue « meilleure femme cheffe du monde » en 2015. Qu’avez-vous ressenti en arrivant au sommet ?

C’était comme au moment d’obtenir les trois étoiles. Jusque-là, pour moi, il y avait toujours une petite fille qui regardait les grandes tables, les grands cuisiniers, un univers dans lequel je baignais depuis l’enfance, quand j’entendais parler avec respect et admiration de monsieur Pic, des Troisgros, d’Alain Chapel… Plus tard, il y a eu Michel Guérard, Michel Bras, Alain Passard, monsieur Ducasse bien entendu… La génération de chefs au-dessus de moi et que je considérais comme des dieux. Pour moi, ils sont la perfection incarnée. Et puis un jour, je me retrouve à leurs côtés. C’est un choc, et c’est très émouvant.

Est-ce une pression également ?

Non, au contraire. C’est stimulant, l’envie de se donner encore plus. Une énergie incroyable, pas un aboutissement. Je le dis souvent à mon équipe du Connaught : « Maintenant, allons chercher la quatrième étoile ! ».

Le rêve secret d'Hélène Darroze
« J’ai beaucoup de chance : j’aime les quatre établissements que j’ai. Et je pense que je vais beaucoup apprécier ce cinquième ! S’il y a un endroit où je souhaiterais en ouvrir encore un, ce serait New York. Mais aujourd’hui, j’ai déjà pas mal de travail. Un restaurant, on doit y être. Et il faut apprendre à être raisonnable à un moment donné. C’est un rêve qui s’éloigne… Sinon, il y a évidemment le Pays basque. J’aurais ainsi l’opportunité d’y aller plus souvent et d’avoir ma maison de campagne là-bas. J’en parle sans arrêt. Quand mes proches liront ça, ils rigoleront sûrement ! »
Le plat préféré d'Hélène Darroze
« Au risque de décevoir, un bon poulet rôti, un poulet jaune des Landes, avec de grosses frites à la graisse de canard. On ne peut pas me faire plus plaisir. Quand j’étais enfant, nous n’avions pas de déjeuner dominical parce que le restaurant familial était ouvert. Tout le monde travaillait. Mais le soir, avec les grands-parents, les parents et les enfants, nous étions une vingtaine autour de la table. Et ma grand-mère cuisinait ce plat tous les dimanches. C’était délicieux, déjà. Mais aussi un moment familial d’exception. Une sorte de rituel. »
Burgers à partir de 14,50 €.
Jòia Bun, 16 rue de la Michodière, 75002 Paris
Crédit photo :
Stéphane de Bourgies,
Article paru dans le n°
2
du magazine.
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