Depuis que vous êtes devenu maître de chai, que s’est-il passé ?
Il y a d’abord eu la transmission avec Pierrette Trichet, à ce poste avant moi. Je suis resté près d’elle pendant sept années avant qu’elle me passe les commandes. C’était en avril 2014. Un grand moment d’émotion, je dois bien l’avouer. Il y avait là Georges Clos et André Giraud, les maîtres de chai précédents, nos familles, nos collègues, la famille Hériard-Dubreuil (les propriétaires).
La transmission semble être le maître-mot dans cette maison.
Tout à fait. Pierrette m’a choisi. Et du côté des propriétaires, la nouvelle génération arrive aux postes clés. C’est aujourd’hui Marie-Amélie de Leusse, fille de Dominique Hériard-Dubreuil, qui est à la tête du groupe et de la maison. Tout semble se faire naturellement, toujours avec la volonté d’incarner un esprit familial et d’excellence.
Quels sont les avantages selon vous ?
Le principal, c’est que Marie-Amélie sait de quoi elle parle car elle a toujours été imprégnée par cette philosophie. Elle a une parfaite connaissance des différents produits de la maison et des viticulteurs.
Vous avez d’ailleurs tissé un lien très fort avec vos viticulteurs ?
Ils sont tous en Grande et Petite Champagne, et c’est grâce à eux que nous pouvons produire nos eaux-de-vie pour Rémy Martin et Louis XIII. Ils font partie intégrante de nos équipes. Lors du lancement de la nouvelle édition de « Rare Cask » à Venise, nous en avons invité quelques-uns. Ce magnifique cognac leur appartient un peu également. C’est un travail à plusieurs.
Combien de personnes travaillent avec vous ?
Au sein du comité de dégustation, nous sommes 16 pour la sélection des eaux-de-vie. Ensuite, le nombre est plus restreint pour la composition des assemblages. J’ai alors quatre personnes à mes côtés quand on propose un cognac. Elles vont le comparer avec les précédents, me dire si celui-ci possède une singularité, si je dois à nouveau « travailler ma copie ». C’est une étape nécessaire et primordiale. Elle l’est encore davantage quand il s’agit de nos cognacs exceptionnels.
Même pour « Rare Cask » ou pour la dernière création en édition limitée, la Coupe 300e anniversaire ?
Là c’est un peu différent. C’est un travail totalement personnel. Je continue à surveiller les eaux-de-vie sélectionnées par Pierrette. J’en écarte et j’en ajoute d’autres pour le prochain maître de chai. C’est un travail d’une vie, avec ses aléas.
Avec l’expérience, est-il possible de savoir si un cognac sera un Louis XIII ou non ?
Nous avons des indications, mais on ne peut pas être sûr à 100 %.Au début, je souhaitais tout maîtriser. J’essayais d’analyser pourquoi une eau-de-vie prometteuse au départ n’était, au final, pas aussi exceptionnelle qu’attendu. Puis on apprend à ne pas tout contrôler, à ne pas tout comprendre.
C’est ce qu’affirmait Pierrette : il y a toujours une part de mystère. C’est une vraie chance car je pense vraiment que sans ce paramètre qu’est le mystère, le sublime n’existerait pas. « Il faut apprendre à lâcher prise », me disait Pierrette.
Pierrette vous a transmis une vraie philosophie ?
C’est exactement ça. Elle m’a appris à faire confiance à mon intuition. Ce n’est pas forcément ce que l’on vous enseigne dans les livres et dans les écoles d’ingénieurs.